été 85 a tout pour donner des envies de vacances: il arrive à point nommé pour nous sortir de notre confinement et nous rappeler ce qu’est un été à la plage, une jetée, des bateaux, des ados jeunes et beaux, une époque heureuse, bref le terrain de base idéal pour faire naître les amours passagères.
Sauf qu’Alex et David ne sont pas en vacances: ils vivent à l’année en Normandie et leur amour aurait toutes les chances de durer plus qu’un été. D’ailleurs n’est-ce pas justement pour mettre à mal les habitudes que la plage en question n’est pas faite de sable fin mais de galets, avec en arrière plan des barres d’immeubles qui rappellent le désastre de l’urbanisation des bords de mer? Comme un indice pour dire que si le film a tous les attributs du classicisme il n’est pas exactement celui qu’on pourrait estampiller “film de vacances”.


D’ailleurs la couleur est annoncée d’entrée de jeu: François Ozon a pris le parti d’ouvrir son film en révélant la fin: l’idylle va être écourtée de façon définitive. Voilà qui pique la curiosité du spectateur mais qui aussi fait naitre des attentes un peu trop grandes pour les révélations qui viendront y répondre. On aurait peut-être été davantage touchés de découvrir en cours de route le funeste destin de l’un des protagonistes.


Le récit suit les souvenirs d’Alex, et il faut arriver à la fin pour mettre le doigt sur ce qui était là depuis le début: alors que certains passages semblaient réalistes, beaucoup d’autres avaient des airs de féérie sans qu’on arrive à dire ce qui clochait et contribuait à donner cette impression.


C’est parce qu’on voit tout par les yeux d’Alex que David ne ressemble qu’à une façade et qu’on peine à s’attacher au jeune homme: il est le cliché du gars au charme magnétique et évident qui séduit à tour de bras. Il faudra se contenter de quelques échanges pour essayer de le comprendre davantage, mais ce sera trop peu: ce qu’on aimera de David ce sera uniquement ce qu’on en verra par les yeux énamourés d’Alex. Des souvenirs qui brouillent les pistes, enjolivant certains moments et dramatisant peut-être les souffrances: quand on se rend compte qu’on ne voit l’histoire que la prisme déformant d’Alex on sait qu’on s’est trompé de sujet depuis le début.


Le film n’est pas l’histoire d’un couple mais celle de la passion éprouvée par Alex, on comprend mieux alors pourquoi David semblait si factice, si vide (fascinant pour le personnage mais peu intéressant de notre point de vue - tout en offrant une image agréable à l’oeil). C’est là que se trouve le vrai intérêt du long métrage: dans ce qu’il dit de l’amour et du déséquilibre qu’il fait naître entre deux personnes qui n’ont pas le même vécu ni les mêmes attentes.


Les deux acteurs sont mignons et leurs échanges sont bien menés et mettent en avant l’écart entre l’aura magnétique de David et les regards fascinés d’Alex.
Cette étude de la distance entre les deux façons d’appréhender une même relation, est l’attrait du film: comprendre que ce qu’on garde de l’autre n’est souvent qu’une image, que l’un continue à faire la fête pendant que l’autre est envoûté par le son du walkman qu’on lui pose sur les oreilles, en pleine félicité.


On s’attache vraiment au jeune héros et on perçoit sa jalousie, sa souffrance quand il comprend que sa conception de l’amour exclusif n’est pas partagée. La blessure de la trahison est très bien traitée, et on entre en empathie avec le petit Alex.
Curieusement l’émotion passe plus difficilement sur l’évènement qui devait être le climax du récit, sans qu’on puisse s’expliquer pourquoi: est-ce parce qu’on nous avait annoncé depuis le début que l’effet est éventé? Ou parce que le film veut nous dire que l’important est ailleurs?


Il y a quelque chose de bancal dans le film, et il ne s’agit pas que d’une balance de la souffrance qui serait plus lourde du côté d’Alex: alors même que le propos est une tempête d’émotion (qui début justement lorsqu’une tempête a fait naufrager un voilier), le spectateur est un peu perdu de ne ressentir que de légers clapotis de la vague qui devait le faire chavirer.


Il est dommage aussi d’arriver à la fin pour comprendre ce qu’on vient de voir: combien de temps faut-il pour connaitre une personne? La mort prématurée au delà du tragique n’est-elle pas un bon moyen de conserver un souvenir biaisé, de garder une image faussée, de peiner à s’en détacher?
Si David n’était pas décédé, les deux amants auraient peut-être mit fin à leur relation, Alex aurait souffert, mais il aurait pu repartir sans la culpabilité, et en enjolivant un peu moins les moments partagés.
C’est parce qu’il sait qu’il n’y aura pas de retour qu’il s’attache au vécu, qu’il revit son film, qu’on a droit à une narration aussi subjective.


été 85 n’est pas aussi réussi qu’on l’aurait souhaité mais il a le mérite de donner de l’amour une vision moins fantastique qu’on ne le voit habituellement:
Ici pas de “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants” mais une expérience qui marque à vie, qui permet de se rendre compte douloureusement qu’il y a un écart entre partager des moments et partager des sentiments, entre côtoyer quelqu’un et le connaitre, entre aimer une personne et en être aimé.


Tout en étant loin de la lumière qu’on espérait été 85 va nous accompagner un peu, et on reviendra probablement goûter à la candeur du jeune Alex, véritable révélation du film.

iori
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le 29 juil. 2020

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