Quand Allemagne, année zéro se ferme sur le suicide d’un enfant, Europe 51 choisit son exact contrepoint, en s’ouvrant sur icelui. Ou presque : Lors d’une réception mondaine, las que sa mère le laisse de côté pour ses invités, le fils d’un couple bourgeois se jette dans les escaliers. La chute est mauvaise mais pas mortelle, c’est une embolie qui l’emporte, dans la nuit, à l’hôpital. Il faut savoir que Rossellini venait de perdre lui aussi un enfant. En ce sens, Europe 51 est peut-être son film le plus personnel et théorique, tant il est auto thérapeutique et méta filmique.


 En effet, Irène, la maman, campée par Ingrid Bergman (qui était alors la femme de Rossellini, ce qui accentue le trouble) tente peu à peu de sortir de sa tristesse en se tournant vers un ami de la famille, un journaliste communiste, qui va lui faire découvrir une Rome dont elle ne soupçonnait pas l’existence – puisqu’elle était cloitrée dans une vie riche et futile – une Rome pour laquelle elle va bientôt investir la plupart de son temps, se dévouant aux pauvres, sans doute pour que sa déréliction se transforme en passion, sa culpabilité apathique en actes de bienfaisance.
Quelque part, Rossellini se pose la question de comment enchainer après la trilogie de la guerre, son film sur François d’Assise, la perte de son enfant puis sa rencontre avec la star suédoise. Il me semble qu’Europe 51 est une somme de ces chemins, un film sur l’après-guerre et vers la sainteté, mais aussi un film aléatoire dans sa construction, sa progression dramatique, très moderne dans chacun de ses partis-pris, et d’ailleurs, il annonce un peu de Voyage en Italie. C’est très beau et troublant.
A travers le récit de la résilience de cette femme, Rossellini dresse le portrait d’une Rome d’après-guerre dévastée et délaissée, filmant aussi bien la précarité que la beauté de ces quartiers les plus défavorisés – à l’image de cette femme aux enfants multiples, joyeuse, vivant dans un taudis – tout en faisant une critique acerbe d’une bourgeoisie qui refuse l’option spirituelle choisie par l’une de ses désertrices, forcément folle à lier, qu’il faudra vite sacrifier dans l’internement. La noirceur du film est infiniment compensée par la lumière de ce magnifique personnage en plein éveil à la conscience et à la sainteté.
JanosValuska
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le 13 mars 2019

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