Sept ans après son dernier film de fiction, et après deux documentaires, le grand cinéaste allemand Wim Wenders revient à la fiction en 2015 avec Every thing will be fine, un mélodrame qui sait s’affranchir des pièges inhérents au genre.


Après avoir découvert la 3D sur le tournage du documentaire Pina, Wim Wenders voulait employer ce procédé pour un film de fiction. C’est au Festival de Berlin 2015 qu’il présentera hors-compétition Every thing will be fine. ici, bien évidemment, la 3D n’a pas pour but de créer des scènes grandioses ou de nous plonger dans une action monumentale. Wenders dit vouloir exploiter la 3D parce qu’elle fait ressortir les personnages et place les spectateurs au plus près des protagonistes. Mieux : elle permet d’instaurer une distance par rapport aux personnages, et sert ainsi le propos de Wenders de faire un film dénué du moindre pathos, un mélo apaisé.
De fait, Every thing will be fine est parfaitement visible en 2D. On peut juger parfois la caméra ou les acteurs trop statiques, mais cela ne gâche en rien la qualité du jeu ni la perfection technique du film.


Every thing will be fine.
Il faudra moins d’un quart d’heure au spectateur pour comprendre que le film va prendre le contrepied de ce titre.
Un quart d’heure, c’est le temps qu’il nous faut pour faire la rencontre de Tomas (James Franco), écrivain en panne d’inspiration aussi bien dans le domaine de la création artistique que dans celui de son couple. Et le voilà qui, suite à une seconde d’inadvertance, va bouleverser la vie de Kate et de son fils Christopher. Une luge vue trop tard, une voiture trop longue à s’arrêter sur la neige, et le petit Nicolas meurt dans l’accident.
Ce qui frappe dès le début, c’est l’extrême pudeur avec laquelle Wenders filme tout cela. C’est un grand bonheur de voir que le cinéaste refuse catégoriquement de céder au mélodrame qui semble inhérent à ce type de sujet. Et ce sera comme cela tout au long du film : le cinéaste évite judicieusement tous les pièges tendus devant lui dans ce sujet hautement piégé. Ainsi, jamais on ne verra Nicolas. Ainsi, lorsque Kate (Charlotte Gainsbourg) comprend que son fils a eu un accident, la caméra garde une distance pudique, prenant de la hauteur par rapport à la scène.


Parce que, finalement, ce n’est pas la tragédie qui intéresse Wenders, mais ce qu’elle va révéler chez les personnages, et comment cela va les changer. Aussi, l’action s’écoule sur du long terme : onze ans séparent les premières scènes des dernières. Onze années où, de façon elliptique, nous allons suivre Tomas et le voir changer, étape par étape.
Tomas incarne bien toute l’intelligence avec laquelle Wenders conçoit ses personnages. Tomas est un personnage d’une grande profondeur psychologique, mais rempli de silences et de contradictions. Un personnage qui, tout au long du film, ne nous apparaîtra pas forcément comme sympathique (dans le sens que l’on ne va pas forcément sympathiser avec lui). Un personnage qui conservera une part énigmatique, inexplicable, qui résiste à toute simplification psychologique de bas étage.
Lorsque débute Every thing will be fine, Tomas est un personnage bien entouré, et qui ne le supporte pas. Un fils en conflit avec son père (incarné par l’excellent Patrick Bauchau). Un homme en couple, mais en conflit avec sa chérie (Sara, interprétée par Rachel McAdams). Un écrivain incapable d’écrire, comme en conflit avec lui-même.
Un des reproches habituels faits à Tomas, c’est l’égoïsme. Tomas semble tout ramener à lui-même. Ainsi, lorsque, deux ans après l’accident, il retourne voir Kate, il a beau prétendre que c’est pour lui offrir son aide, il est facile de comprendre que c’est pour se soulager lui-même qu’il est allé là. D’ailleurs, Kate n’a absolument pas besoin de son aide, et à la détresse d’un Tomas dévoré de remords, elle oppose une grande sérénité.
D’ailleurs, pour être sûr que l’on s’intéresse bien à lui, Tomas fera même une vraie-fausse tentative de suicide, une de ces TS que l’on fait en s’assurant de bien la foirer et que tous les secours soient prévenus. une façon de ramener l’intérêt sur sa petite personne.
Globalement, Tomas est dans une relation étrange avec le reste du monde, surtout les personnes autour de lui. Il veut attirer l’attention sur lui, et en même temps il veut rester seul. Il abandonne Sara, il abandonne son père, il ne veut pas d’enfant et refuse de faire les efforts nécessaires pour former un vrai couple.
C’est sa seconde compagne, Ann (interprétée par la formidable et trop rare Marie-Josée Croze), qui lui fera un autre reproche important. Après un accident qui aurait pu être grave, elle lui signale qu’il n’a pas l’air ému un seul instant par l’événement. Et c’est là une caractéristique importante de Tomas : il semble incapable d’exprimer ses sentiments. Le personnage arbore une froideur extérieure qui empêche de sympathiser avec lui.


Tout cela va se mêler au thème, inévitable, de la création artistique. L’accident, en coupant la vie à un envie et en brisant des vie, va permettre à Tomas de revenir dans le monde de l’écriture. Du coup, il est tout à fait naturel que Christopher, devenu grand, demande à l’écrivain s’il s’est inspiré de l’accident pour nourrir ses romans. La question de la création est clairement posée. A côté de cela, Kate brûle un roman de Faulkner qu’elle juge responsable de l’accident, et semble passer son temps à dessiner. L’art fait partie de la vie des deux protagonistes, avec des rôles très différents.
D’ailleurs, Kate semble être un personnages typiquement wendersien. Une voyageuse échouée dans cette maison isolée, loin de tout. Les voyageurs peuplent le cinéma de Wenders, et kate n’attend qu’un signal pour repartir (ce qu’elle fera dès que son seul fils restant, Christopher, sera assez grand pour se débrouiller sans elle).
On pourrait juste trouver dommage que ce personnage magnifique, interprété par une Charlotte Gainsbourg tout en finesse, ne soit pas plus présent à l’écran. Kate, bien qu’évidemment meurtrie par le drame, se révèle forte et humaine, contrepoint idéal à un Tomas qui stagne à ressasser l’accident. Lui, en société mais détestant cela. Elle, isolée volontaire et finalement sereine.


Avec Every thing will be fine, Wim Wenders nous livre un beau film, centré sur des personnages profonds et complexes. Un film qui évite intelligemment les pièges du mélo pour aboutir à une oeuvre apaisée, sereine.


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le 14 avr. 2020

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