On pense à Russel Banks, et pas seulement à De beaux lendemains, dans cette manière de raconter un drame radicalement non spectaculaire et volontairement dépourvu de scènes édifiantes. La 3D permet à Wenders de construire un mélodrame ouaté qui creuse l'intime et peint le non-dit avec rigueur et subtilité.


Superbe dans les plans extérieurs, créant sans cesse des jeux de transparences et de flous, souvent mouvante, soutenue par une mise en scène infiniment délicate, la 3D s'associe à l'une des plus belles partitions d'Alexandre Desplat pour donner au film cette ambiance indéfinissable, presque étrange parfois, qui vient extraire les personnages de l'image pour mieux les isoler, les plaçant ainsi à nu pour que l'on puisse les entendre.


Mais on ne les entend pas toujours, principalement Tomas, écrivain d'apparence insensible, opaque et en retrait, pas vraiment sympathique, dont le succès littéraire coïncide avec l'après de l'accident qui introduit le film. On le suit pendant 10 ans, tout comme ceux qui l'entourent et ceux que le drame a touchés. Il est alors question de conscience et de pardon, de quêtes entrecroisées, d'attentes, de demandes, de promesses, mais surtout d'arrangements avec la vie.


On pourra reprocher au film de délaisser toute approche morale, de ne jamais questionner frontalement, ce serait oublier son parti pris narratif. Every thing will be fine ne donne pas de clé, Tomas ne dit rien. Les autres parlent pour lui, comme en négatif, lui font des reproches que l'on entend, nourrissent peut-être (mais c'est à peine suggéré) sa matière littéraire.


Si l'image s'inspire de la peinture d'Andrew Wyeth, se jouant des perspectives en éteignant les couleurs, on pense également à certaines photos enneigées de Josef Hoflehner. Le jeu constant sur les surfaces vitrées, les flocons de neige, la poussière, les contrastes extérieurs, d'infinis détails, illustre la précision d'une mise en scène qui sait aussi mettre en exergue la beauté d'un fondu enchaîné ou d'un fondu au noir.


Composant a minima, les comédiens servent la partition avec humilité, convaincus sans doute de faire partie d'un tout qui les englobe. Lente et étirée, peu dialoguée, à peine explicative, construisant l'histoire en maîtrisant l'ellipse et le hors-champ, délaissant le pathos et la psychologie facile, la narration contraste par son minimalisme avec l'obscène tonitruance d'une bonne partie du cinéma actuel.


Mélodrame ténu et presque silencieux, fantomatique et comme étourdi, Every thing will be fine prouve que Wim Wenders n'a rien perdu de son audace.

pierreAfeu
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le 24 avr. 2015

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pierreAfeu

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