Aujourd’hui la justice française a donné raison au réalisateur Terry Gilliam contre son ancien producteur qui voulait interdire la diffusion de l’homme qui tua Don Quichotte qui pourra donc être le film de clôture du festival de Cannes. Le bon Terry a célébré ça depuis son lit d’hôpital après son récent AVC, pénultième péripétie d’un projet lancé il y a plus de 27 ans. Alors c’est sûr qu’en comparaison, Everybody Knows d’ Asghar Farhadi en film d’ouverture, ça ne provoque pas le même emballement médiatique.


Faut dire que Farhadi pour ouvrir le 71ème festival de Cannes c’est à peu près aussi surprenant que de voir Javier Bardem en contre-jour, Penelope Cruz qui pleure en restant digne ou encore du soleil en aout. Après Le Passé qui a valu le prix d’interprétation à Bérénice Béjo en 2013 et le doublé scénario/meilleure interprétation masculine pour Le Client en 2016 (puis Oscar pas immérité du meilleur film étranger), on se demande si le réalisateur n’avait pas directement mis trois nuits d’hôtel sur la croisette dans le budget pré-production d’Everybody Knows. Un film attendu donc, mais attendu au tournant aussi : Asghar Farhadi vient de réaliser son premier film insignifiant, pas mauvais non, juste parfaitement oubliable.


Après une première séquence angoissante et quasiment hors sujet qui présente le nom de nos héros gravé dans la pierre et des pigeons (noble animal dont je me demande s’ils ne symboliseraient pas un des personnages centraux de l’intrigue), le film démarre sur un tout autre ton. Laura, Pénélope Cruz, revient dans son village natal en Espagne pour le mariage de sa sœur où tout le monde est content, dont le vigneron et ami de la famille Pablo incarné par Javier Bardem. Après une très longue première partie qui introduit mal ses personnages mais qui donne très envie d’aller commander un verre de rouge en terrasse, un élément fait basculer le film dans le thriller familial boiteux qui nous demandera une certaine indulgence face aux actions incohérentes des protagonistes pas tous bien écrits.


Pourtant on est loin d’une structure inhabituelle pour un Farhadi. Par exemple dans Le Client, un couple de comédiens de théâtre déménage, la femme se fait agresser et son mari décide de mener l’enquête. Là aussi on avait une exposition assez lente pour nous présenter les difficultés d’un couple aux mœurs progressiste dans un pays, l’Iran, qui ne l’est pas, puis on embrayait avec une certaine fluidité sur la réaction du mari et les différents conflits que l’élément perturbateur génère. La construction de l’histoire permettait de mettre en exergue les contradictions d’un homme qui se plaint d’un régime autoritaire alors qu’il décide de se faire justice lui-même, et c’est un peu la marque Farhadi, l’intrigue et les thèmes sociétaux se répondent. Tous ses films se passant jusque là en Iran, à l’exception du Passé en France avec des expatriés Iraniens… Le problème d’Everybody Knows qui se passe dans un petit village Espagnol entre espagnols, c’est que sans aucun thème fort et une intrigue ne dérogeant jamais au premier degré, on se retrouve avec un mauvais polar où du linge sale se lave en famille, et 2h10 devant le tambour d’une machine à laver, c’est quand même très long.


Passé sa première partie festive, les engueulades entre les personnages commencent, l’embryon d’enquête n’avance pas et le film ne cherchant absolument pas à nous faire chercher le coupable avec lui, on ne s’en préoccupera pas en attendant passivement une conclusion qui arrivera au bout d’une pénible errance des acteurs qui égrènent peu ou prou les révélations d’un feuilleton télé estival. Le titre Everybody Knows (se traduisant par « tout le monde le sait » pour les deux du fond) laissait augurer d’une ambiance un peu pesante de petit village où chacun à des dossiers sur ses voisins mais cet aspect est à peine survolé, pareil pour la relation Cruz-Bardem qui dégage un peu moins d’électricité qu’un verre d’eau salée tiède ou une non intrigue sur des drones qui me donne envie d’interdire ce dispositif à tout réalisateur de films d’auteur qui a commencé sa carrière avant 2010.


Everybody Knows n’est pas une catastrophe, Asghar Farhadi sait diriger ses acteurs, le petit écrin viticole auquel est circonscrit l’action donne au moins autant envie de partir en vacance dans le sud que Call me by your name ou A Bigger Splash et les personnages arrêtent de s’engueuler une demi-seconde avant que l’on ait envie de tester la perceuse allumée comme appareil auditif, mais l’inspiration est absolument absente de ce long-métrage de 2h10 qui contentera tout juste le club des amateurs de polar mou dont je ne fais malheureusement pas partie.

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le 9 mai 2018

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