Fut un temps où ce film a pu me fasciner par bien des aspects. Aujourd’hui, je suis un peu abasourdi par ma propre faiblesse de jugement passée : comment ai-je pu être aveugle devant ce scénario déséquilibré -et j’ai envie d’ajouter- “tape à l’oeil”?


Le couple Nicole Kidman / Tom Cruise dans un climax de maladresses nous livre un moment mémorable de nullité. Nicole Kidman en petite culotte de mimer avec force gestes et grimaces l’ivresse mêlée de colère et de ressentiments enfouis. La scène surgit de façon très artificielle, dès le début et accumule les détails grotesques, inappropriés, factices. Le trait est gras, lourdingue. Ça sent pas bon, le toc à plein nez. Cela en devient vite pénible. La réaction de Tom Cruise à la crise hystérique de sa femme est aussi molle et sans estomac que fausse et désincarnée.


Cette supercherie s’accommode finalement assez bien avec les incohérences du scénario, ses facilités, avec la narration foutraque présentant un caractère “sketcheux” trop prononcé. On a le sentiment d’une accumulation de scénettes, de personnages, de trames annexes au récit principal. La cohésion se fait parfois, mais toujours en forçant le trait d’union. Cela pourrait se justifier si l’ambition de Kubrick veut dessiner via ce film une sorte de cauchemar paranoïaque dont serait victime le personnage de Tom Cruise. Cette lecture cependant ne me convainc qu’à moitié. Le traitement très net, clinique de la mise en scène, comme celle de l'image, qu’élabore Stanley Kubrick semble le contredire : autre incohérence qui finit de me lasser.


La plupart des rapports humains sont toujours plus ou moins axés, comme obsédés, par le sexe, surtout s’il est interdit. Tout tourne autour de ça. La thématique ne parvient jamais à paraître un tant soit peu abordée de façon crédible. Au contraire, on croirait une récitation de clichés, de dialogues faux, vulgaires, sans odeur ni goût. La sexualité elle même, quand elle est filmée, est évidemment factice, sans amplitude, sans émotion, trop visiblement simulée, trop irréelle, sans incarnation.


Seule la musique réussit par moments par retenir mon attention. Notamment cette glaçante note sur un piano, isolée qui claque comme un coup de fouet. Et qui peut rester, entêtante. L’inquiétude légère provient uniquement de ce lancinant accompagnement sonore. C’est trop peu.


C’est fou l'écart entre les premiers visionnages plutôt chaleureux de ma part et cette dernière revoyure pas loin d'être catastrophique. Le fossé s'est élargi brusquement, comme si je m'étais réveillé enfin d'un sommeil profond, plein de brume et de cécité. A se demander si dans le passé, mon admiration pour le cinéaste n’a pas été la clé de cet aveuglement.


Captures et trombi

Alligator
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le 23 mars 2017

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Alligator

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