L'impact de F comme Fairbanks , la façon dont on peut aujourd'hui le percevoir, ne correspond en rien aux intentions initiales du réalisateur.
A l'origine Maurice Dugowson visait trois objectifs :
- une histoire d'amour fou, du coup de foudre au déchirement,
- une perspective sociale, l'angoisse du chômage, face à une crise que personne n'avait prévue (nous sommes dans les années 70, le film est pour le moins précurseur),
- un jeu, très insuffisamment développé, sur la frontière entre réalité et fiction ; cette perspective-là est portée par le titre, par l'affiche (une silhouette évoquant Douglas Fairbanks), par le père du héros (joué, plutôt bien, par John Berry) définitivement cinéphile et par la pièce, une relecture adulte d'Alice aux pays des merveilles, spectacle à l'intérieur du film, avec dédoublement des acteurs. Mais ce thème est trop suggéré alors même qu'il aurait pu être très porteur.

Reprenons -

C'est l'époque où précisément Patrick Dewaere confond. Il joue dans des films et il y joue sa vie - il tente d'abolir la frontière entre réel et fiction. Le sommet sera atteint avec Série noire, hallucinant mais Fairbanks s'inscrit déjà dans cette perspective, et d'ailleurs tous les films de la période qui s'engage. On peut trouver cette option géniale ou exaspérante. Et l'idée de confier le rôle d'un Douglas Fairbanks moderne, de l'acteur le plus positif, le plus optimiste, du cinéma américain, à Patrick Dewaere en plein tourment est pour le moins étonnante.

Cela dit, les colères sans limites du chômeur déprimé / désespéré, de celui à qui on ne propose que des boulots de merde alors que tout son parcours devrait lui ouvrit toutes les portes, ces colères-là, quand elles ne sont pas rentrées, relèvent bien du réel et sont souvent, dans la réalité la plus crue, très surjouées pour cause de désespoir. Le rejet, anarchisant, antisocial, souvent outré,de l'autorité qui écrase constitue alors l'ultime façon d'affirmer son existence. Dans ce contexte-là, le jeu excessif de Dewaere est quasiment réaliste, il ne surjoue pas.

Là où les choses se compliquent, c'est lorsqu'on confronte à cette première question (la frontière entre réalité et fiction et le choix du jeu outré où l'on engage sa propre vie), au thème central du film - l'histoire d'amour fou, entre coup de foudre et déchirement. En effet Dugowson avait fait le choix, très étrange, assez malsain, de proposer les deux rôles à Patrick Dewaere et à Miou-Miou, au moment où précisément ils venaient de rompre, douloureusement. La confusion réalité/réel devient dès lors insoutenable, démultipliée jusqu'à la confusion, jusqu'à l'inextricable, par les diverses entrées du film - qui devient dès lors et malgré lui, un film sur Patrick Dewaere. Thème unique.

Dans le film, dans la fiction, tout cela explose, Dewaere explose, lors de la représentation apocalyptique de la pièce.

Dans la vie, celle à venir, très proche, la réalité rejoindra définitivement la fiction. Dans le drame.
.
pphf

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