Depuis La Beuze, Michaël Youn se cherche une identité mais reste à cheval entre l'animateur télé vulgos et bon vivant qu'il était, et le cinéaste comique pointu et popu qu'il voudrait être. L'homme a le Morning Live qui lui colle aux basques, c'est son problème ; et chaque film le condamne à l'indifférence du public et au mépris des critiques. Il y a pourtant une vérité que très peu de gens ont accepté depuis qu'il exerce au cinéma, c'est que Youn est un chercheur. Dans le paysage de la comédie française, c'est l'un des seuls à oser creuser dans de nouvelles directions et aborder des enjeux à la fois contemporains et inédits. Dans La Beuze, il fonçait tête baissée dans le phénomène du pétard, qu'il traitait de façon à la fois décomplexée (humour en roue libre) et cinéphile (il y avait quand même là-dedans une certaine grammaire de la comédie, bien minutée, bien gonflée, avec ses moments d'audace bien sentis). Dans Fatal, il choisit pour cible un monde réel, et qu'il connaît : celui de la télé. On ne sait pas trop comment il a fait, mais Fatal est un film financé par M6 qui se moque de M6. C'est déjà une démarche courageuse, qui mérite au moins qu'on s'attarde sur son cas.

Selon la séquence, on dirait soit une émission de variétés, soit une publicité, soit un dessin animé, soit un clip. En théorie, ce n'est pas du cinéma. En pratique toutefois, le résultat est payant. Youn passe au crible tous les travers de la télévision, un par un, méthodiquement, en se donnant pour cible d'épouser toujours l'esthétique du petit écran ; pas dans ce qu'il a de moche ni de repoussant, mais au contraire dans ce qu'il a d'immédiatement attrayant, lobotomisant, ce qui fait qu'une fois une chaîne branchée il est difficile de zapper. Le zapping, c'est Michaël Youn qui le fait pour le spectateur. On passe par à peu près tout ce que M6 mais, aussi, TF1, NRJ12, Direct 8 et la plupart des chaînes de la TNT ont à proposer : un concentré d'images dynamiques, violentes, joyeuses, qui vendent l'amour, le bonheur et la connaissance par des moyens putassiers et vulgaires. L'image est passée à la brillantine, les filles sont canon (Isabelle Funaro, Reem Kherici), les hommes musclés et torse nu (Jérôme Le Banner, Stéphane Rousseau). Tout défile très vite, les gags s'enchaînent pour ne pas laisser de répit au spectateur. C'est parfois nul, comme à la télé. Mais, ici, c'est fait exprès. Et ça marche.

L'idée est déjà bonne en soi, sorte de compilation décérébrée, et décérébrante, d'images filmées par des personnes différentes, dans des styles épars, racontant une seule et même histoire, le tout suivant un procédé semblable à celui qu'utilisait Brian De Palma dans Redacted, le film à charge contre la guerre en Irak. Bien sûr, l'impact dramatique n'est pas le même, et la volonté diffère car Fatal reste une comédie. Mais la démarche reste savante, tout aussi respectable, et témoigne d'un certain recul, d'une conscience aigüe du pouvoir des images. Michaël Youn a connu les arcanes du pouvoir, lui qui a été pendant des années l'un des principaux atouts de M6, qui symbolisait déjà à l'époque ce qu'on appelait la "télé-poubelle". Son plaisir, avec Fatal, est de démolir cette dernière en l'imitant, tout comme De Palma détruisait l'armée américaine en se contentant d'en faire un décalque de fiction. Ça fonctionne à pleins tubes car c'est fait de manière très réfléchie, y compris dans l'humour extrêmement bas, et extrêmement soigné, des séquences les plus anodines. Les fausses émissions sont tout simplement criantes de vérité, les clips pourraient être vendus à des chaînes en l'état, certains airs même sont entêtants et donnent envie de se donner la main dans une farandole abrutie et joyeuse.

Petit à petit, les pièces du puzzle se mettent en place. C'est la bêtise qui gouverne ce monde. Les femmes sont aussi belles que bêtes (Funaro et Kherici donc, incarnations vivantes de la superficialité, qui font également beaucoup rire - "On est mardi, c'est bientôt le week-end !"), les hommes sont aussi bodybuildés que bêtes (Jérôme Le Banner, mongolito de dernière zone), les businessmen sont aussi avares que bêtes (Jean Benguigui, avec ses dents longues et sa tête de con, porte sur ses épaules la caricature de tout un système hiérarchique périmé et arriviste). C'est très culotté, car beaucoup des acteurs qu'on voit à l’œuvre dans Fatal font de la télé leur gagne-pain encore aujourd'hui, sans compter qu'aucun n'aurait percé sans elle. Cela ajoute au film une certaine portée cynique qui n'est même pas déplaisante, rajoutant une couche à son discours. Et surtout : c'est drôle, parce que derrière Youn n'oublie pas qu'on peut rire de tout tant qu'on le fait avec sérieux. Les clips sont drôles, les émissions sont drôles, les interludes sont drôles. Le film déborde d'idées qu'on n'attendait pas, de l'extrême perfectionnement esthétique des parodies d'émission (qui décalquent au chromosome près l'esprit des originales) jusqu'au cours même de l'intrigue, où Fatal Bazooka, le rappeur violent et vulgaire, avoue s'appeler Robert Lafondue et être le fils d'humbles bergers.

Les seules limites que Youn se pose (et qu'il dépasse parfois, c'est vrai) sont celles de la malséance. Pour le reste, il file à toute allure, multipliant les gags faussement crétins, enchaînant les trouvailles, grandes ou petites, qui donnent du crédit à sa réflexion autant qu'à son statut de comique. Il faut bien admettre que les scènes vraiment drôles sont nombreuses, d'abord parce qu'elles surprennent, ensuite parce qu'elles sont assumées et bien traitées. Les clips et les émissions, on le redit, sont fantastiques ; il y a aussi la séquence en Savoie, les seconds couteaux qui s'auto-parodient (Benguigui donc, Abittan, Eboué), une multitude de passages bizarres tournés dans cette unique direction d'imiter la télé pour mieux la critiquer. Fatal est le meilleur film de Michaël Youn. C'est aussi l'une des comédies françaises actuelles les plus ambitieuses et les plus attachantes. Le problème pour la majorité des gens (et on l'a vu) sera encore d'accepter que le personnage est beaucoup moins bête qu'il n'en a l'air, et que son cinéma est de très loin plus riche et fécond que ce que ses détracteurs essaient de faire croire. Dommage que son film suivant, "Vive la France", leur ait donné du grain à moudre.
boulingrin87
8
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le 24 mai 2014

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Seb C.

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