Historien de l’art dans l’âme, lettré averti, adepte de philosophie et d’architecture, on ne peut guère prendre Murnau pour le ravi de la crèche cinématographique. Évidemment, son œuvre fut assez brève (une douzaine de films) mais elle aura éclairé un septième art, encore jeunot, en lui servant quelques plats principaux à ranger derechef dans la catégorie chefs-d’œuvre.

Faust, adapté de Goethe et sorti en 1926, est une très belle illustration de ce génie cannibale de la maîtrise des arts picturaux et narratifs.

Bouffant à tous les ateliers (de Rembrandt à De La Tour en passant par Vermeer et quelques figuratifs religieux) sans jamais rogner sa pellicule, Murnau installe le film dans une série de références visuelles qu’il peut noyer à loisir dans ses obsessions expressionnistes. Murnau ou la folie des lumières. Toute l’œuvre du cinéaste semble lutter dans ce « clair-obscur » qui en dit plus qu’un long discours.

En dépouillant son film des artefacts, breloques et accessoires inutiles, en dépassant les décorums aussi imposants qu’inutiles, Murnau revient surtout à l’essence du cinéma muet, et caractérise avec un minimum de moyens les affres de cette histoire diabolique qui ne badine pas avec la légèreté de l’être. Si la grandiose lutte du bien contre le mal (de Méphisto contre l’Archange) est un pari narratif franchement casse-gueule, Murnau élève la chose en s’appuyant avec un luxe de précision et d’intelligence sur sa mise en scène.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes du film puisque Faust s’avérera quand même une bombe à retardement financière pour l’Universum Film Aktiengesellschaft, avec son budget colossal de 2 millions de Deutschemark à l’époque... une somme sur laquelle elle allait s’asseoir pour moitié.

En fait, le budget lui permettra surtout d’approfondir une technique au service de l’image : deux caméras simultanées (une révolution à l’époque), des travellings élégiaques (il fallait au moins ça), un mouvement cinématographique réglé comme du papier à musique, des effets visuels malins (le parchemin qui prend feu), l’utilisation de câbles pour permettre aux acteurs de « voler », des décors peints en arrière plan, des maquettes pour modifier la notion d’échelle entre les personnages... des techniques utilisées par Peter Jackson sur le Seigneur des Anneaux !

Obsédé par la lumière. Baigné de nuances grises, Faust n’est pas l’œuvre la plus connue de Murnau (on nommera plus Nosferatu et l’Aurore) mais ce dernier film avant le grand départ aux Etats-Unis lui permet une réflexion essentielle. A travers l’éternelle histoire de la transcendance de l’homme qui veut s’apparenter à Dieu, ne touchait-t-il pas du doigt l’acte même de la création, et par là son propre statut de cinéaste visionnaire ?
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le 17 déc. 2012

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