Quel bonheur de retrouver Andreï Zviaguintsev à son meilleur niveau soit celui de ses premiers films : Le retour (2003) et Le bannissement (2008). Le second fut l’un de mes premiers grands chocs dans une salle de cinéma et donc fut parmi les déclencheurs de ma cinéphilie actuelle.


 Faute d’amour est une œuvre puissante, vertigineuse, parfois insoutenable où le récit n’est jamais dévoré par la symbolique. Son âpreté et sa violence n’empêche pas une certaine douceur. Le cinéaste russe avait un peu perdu cet équilibre, je trouve. D’emblée, Faute d’amour est partagé entre deux pôles opposés et pourtant contigus : La terrible atmosphère de ce qui reste du foyer familial (lequel un garçon de douze ans préfère fuir, en marchant en bord de rivière, jetant des rubans de chantier dans les arbres, ou en pleurant sans bruit derrière la porte de la salle de bain) s’oppose à des moments inouïs, entre les deux couples recomposés né de cette séparation officieuse – Puisque le divorce n’est pas prononcé et que leur appartement ne se vend pas.
On voit peu ceci au cinéma, finalement. On voit soit l’un soit l’autre mais pas les deux. Là je pense au film merveilleux de Radu Muntean, Mardi après noël mais ça ne vise pas la même finalité. Genia voit donc un homme plus âgé avec lequel elle s’apprête à emménager dans son immense appartement. Boris, lui, veille quotidiennement sa petite amie plus jeune et enceinte. Genia prend soin de ses cheveux, de son corps et passe son temps à faire des selfie. Boris est accaparé par son travail et semble absent, effacé, sans aucun repère sitôt qu’il s’en extraie. Elle vomit chaque insulte. Il est d’un silencieux macabre. Ce sont deux figures modernes et monstrueuses.
Personne ne prend donc soin d’Aliosha, ce garçon né de leur union (Ils répètent qu’ils ne se sont jamais aimé, mais le film par petite touches – Dans sa deuxième partie – parvient à nous montrer qu’il est pourtant possible que ce fut jadis le cas) ; Personne ne passe du temps avec lui ni ne fait d’effort pour lui épargner les disputes parentales. Pire, on comprend vite que ni son père, ni sa mère ne souhaite véritablement hériter de sa garde. C’est comme s’il était le témoin insoutenable de leur échec. Le rappel quotidien de leur erreur.
Le nouveau très beau film d’Andreï Zviaguintsev est pourtant scindé en deux parties, distinctes et surprenantes : Je n’avais rien lu sur le film, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il glisse de la sorte. Il y a donc l’Avant disparition d’Aliosha et l’Après. Avant, sa présence est un fard.eau, après elle est une douleur. Inavouable mais pourtant vite perceptible. Avant, le film semble très cadré, construit, resserré ; après il est plus impénétrable, on ne sait pas si l’on ne va pas sortir du cadre familial pour y suivre le quotidien des chercheurs bénévoles.
Sans trop révéler la suite des évènements, Zviaguintsev entretient judicieusement le mystère autour de la disparition de l’enfant de façon à préserver un maigre espoir dans cet océan de tristesse, un trou d’air dans ce brouillard étouffant. S’il manque parfois de subtilité et écrase la force de son récit par des symboles un peu lourds, on ne pourra pas lui enlever la force avec laquelle il déploie l’universalité de son drame, la profondeur que recèle nombreux de ses plans, la dimension mortifère qu’il offre de cette société russe qui s’engouffre (littéralement dans le film) dans le marasme, les ruines et la désolation. Y a un paquet de séquences là-dedans que je ne suis pas prêt d’oublier.
JanosValuska
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le 17 déc. 2017

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