On le sait, Cannes s'est fait le festival spécialiste des films gonflettes, ces films d'auteur étouffant où le metteur en scène démiurge prend toute la place et condamne ses spectateurs et ses personnages à être les victimes de son imparable système, et dont la fin tombe souvent comme un couperet, coupant la tête des persos comme l'imaginaire des spectateurs. Les deux que je redoutais le plus dans le genre sur l'édition 2017 étaient les films de Lanthimos et de Zvyagintsev. Je les ai vus tous deux récemment et j'ai été plutôt surpris d'aimer globalement les deux films... jusqu'à un certain point.
Mise à mort du cerf sacré car malgré son côté pompier, j'ai tout de même été très marqué par la puissance de la mise en scène et l'étrangeté implacable de l'ensemble. MAIS (et les capitales sont nécessaires) la fin est tellement honteuse, tellement révoltante, qu'elle fout tout le film en l'air, qui s'écroule comme un château de cartes.
Je redoutais aussi Faute d'Amour, alors que je voue une grande admiration aux deux premiers films du cinéaste, mais qui s'est enfermé dans un académisme d'auteur pompier, si fier d'être Le représentant du cinéma russe d'auteur, comme son modèle inatteignable Tarkovski l'était en son temps. Et là aussi je dois dire que j'ai été agréablement surpris. Outre le fait que le film est beau, il est assez implacable. J'en aime beaucoup le sujet et surtout la façon dont le sujet va influer sur la mise en scène. Au centre du film, un enfant, que ses parents n'aiment pas, qu'ils sont prêts à abandonner pour refaire leur vie chacun de leur côté. L'enfant l'apprend et disparait. ça c'est formidable. c'est la grande idée du film. Alors que l'enfant est présent à l'image, il est totalement absent du film : ses parents ne l'aiment pas, ne le calculent même pas, il est un fantôme inexistant. Et, une fois qu'il disparait, qu'il n'est plus à l'image, l'enfant devient le centre du film. Ses parents n'ont de cesse de le chercher, ils sont même forcés de se réunir pour le chercher, et il devient le centre d'intérêt du spectateur également. C'est un magnifique tour de force que de parvenir à créer une attention si forte autour d'un personnage disparu, d'autant que c'est magnifiquement réalisé.
MAIS, là encore le film est foutu en l'air par sa fin. Sa fin est moins grave moralement que celle du Cerf Sacré, mais elle démontre à la fois un manque de courage de la part du cinéaste comme un je-m'en-foutisme assez hallucinant. Sans parler de morale, je laisserai à chacun le soin d'interpréter ça. Je raconte la fin ici, donc vous pouvez stopper votre lecture si vous le désirez : le gamin ne réapparait jamais ! et on ne saura jamais s'il est vivant ou mort et ce qu'il est advenu de lui. EH OH ! Zvya ! Le cinéma c'est un art engagé, il faut un minimum de courage pour faire un film, donc à un moment dans ta vie, il faut prendre une décision. C'est impossible de prétendre intéressé un spectateur sur une question aussi grave qu'est la disparition d'un enfant, sans lui laisser la moindre réponse. Soit tu décides qu'il est mort et là tu es un salopard et ton film est un film de salopard car tu crées un suspense morbide sur une question pareille, soit in fine, tu le montres vivant et tu justifies tout ce qui s'est passé avant. Tu n'es pas obligé de le montrer vivant aux parents si tu ne veux pas que les parents le sache, mais tu le montres aux spectateurs ! Le spectateur, tu sais, celui qui est sensé être omniscient au même titre que le metteur en scène. Tu aurais dû revoir le chef-d'oeuvre de Schrader qui est le meilleur film possible sur cette question là, et qui possède la meilleure fin possible : le père finit par retrouver sa fille, qui fait du porno, qui est devenue pute, et aux retrouvailles, elle l'envoie chier, elle lui dit qu'elle est mieux là qu'à vivre avec son con de père. Voilà. Mais le souci de Zvya, c'est que s'il avait fait ça, il aurait été forcé de considérer le spectateur comme son égal, alors que la position qui lui plait tant, c'est celle de dominant absolu, de démiurge qui manipule ses personnages comme des marionnettes, les faisant apparaître ou disparaître selon son bon gré, sans avoir besoin de s'en expliquer auprès de son spectateur qui, lui aussi, est son sujet.