Lui, ce serait la lâcheté, le matérialisme, le paraître à tout prix. Elle, l'égoïsme, la coquetterie, l'absence de cœur. A eux deux, ils incarneraient les plus mauvais penchants de la Russie contemporaine. Leur divorce houleux serait la conséquence logique de leur combinaison vouée à l'échec. Et la disparition brutale de leur fils, l'illustration de l'état actuel du pays.
J'imagine que cette lecture métaphorique de Faute d'amour est possible. Une interprétation politique au deuxième degré, redoublant la vision sociale au premier degré de personnages incapables de former des familles et d'exprimer des sentiments véritables. Je ne suis pas un spécialiste de ce genre d'analyse, mais il est probable que, dans un cinéma comme celui de Zviaguintsev, il soit utile d'en passer par là.
Sous couvert d'une mise en scène au cordeau, alternance de tableaux sublimes (les premiers plans de nature déserte, qui font écho aux derniers, quasi identiques), de mouvements fluides et de cadres fixes glaçants, Zviaguintsev déroule une intrigue aussi fine qu'inexorable. Comme souvent chez le réalisateur russe, l'enfant fait figure de révélateur. Ici, sa présence gêne, puis son absence dérègle tout. Il accélère l'explosion du couple, met en lumière la déréliction des institutions (la police, impuissante à rechercher le garçon ; l'état déplorable de la morgue), braque un projecteur sur tous les manquements humains. On assiste avec effarement à un affrontement d'une cruauté sans nom entre une mère et sa fille, qui reproduit le même schéma de reproche et de mépris avec son propre fils. On voit d'autres mères essayer de prévenir d'autres filles, moitié à tort, moitié à raison.
A la radio, fréquemment diffusée dans plusieurs scènes, les commentateurs se font l'écho d'un monde en guerre. Le Donbass, l'Ukraine, les élections américaines. Ces incursions sont évidemment tout sauf anodines, et invitent le spectateur à lier l'intrigue intime et l'arrière-plan politique, dans un monde où tout est lié désormais.
Le cinéma d'Andrei Zviaguintsev flatte autant l’œil, par la beauté de ses plans, qu'il convoque le cérébral chez le spectateur. Dans l'esprit, c'est joli ; dans les faits, c'est parfois moins chouette. A la différence du Retour, son premier film d'une économie de moyens aussi juste que pertinente, Faute d'amour manque souvent pour moi de puissance, d'émotion, de direct à l'estomac. Les personnages principaux sont globalement antipathiques, c'est normal mais dur à porter sur la longueur (même s'ils s'adoucissent avec le temps, surtout le père). Son constat humain, social, politique fait un mal de chien, sans pour autant révolter totalement. Je suis resté un peu à distance, ralenti par un récit trop simple, trop en panne de sensibilité pour me laisser toucher par ce manque d'enfant qui ne manque presque à personne.
Un film en forme de beauté froide : séduisant de l'extérieur, cinglant à l'intérieur. Dur.