Voilà le deuxième film que je découvre de cet étonnant réalisateur. Et j'en ressors encore une fois grandi, transformée, revigorée, éblouie.

Fitzcarraldo est un film étrange, étonnant, à la force considérable qui prend source même dans d'immenses paradoxes : des paysages grandioses à couper le souffle, de nature tropicale, de couchers de soleils, de ciels éclatants, d'arbres immenses et verdoyants. Une nature, des paysages filmés avec grandeur, beauté. On sent là tout le soin, tout le plaisir, toute la beauté que Werner Herzog prend à filmer ces paysages qui surpassent considérablement ceux des cartes postales. Et soudain, tout tombe. On décide d'abattre cette nature complètement sidérante, ces arbres gigantesques et verts, si verts, qui tombent comme des mouches avec une force colossale. Quelque chose se brise dans le cœur, un pincement, un rien.

N'empêche, on décide d'abattre les arbres, toute la végétation qui comble la terre, et puis de mettre de la dynamite tout autour pour que la pente cesse, pour que le sol devienne droit, pour que l'on puisse grimper, et arrimer l'imposant bateau sur la terre.

Et tout cela est absurde, malgré l'évidente dégradation. La situation même est absurde. L'histoire toute simple d'un homme qui, à ce stade de l'histoire, veut couper à travers la verdure avec son immense bateau afin de rejoindre l'autre rive, de l'autre côté, faire un raccourci. La situation absurde devient dramatique et l'on se perd avec le personnage dans une sorte de pétrin considérable, absurde, pathétique. Et malgré la grande différence de ces deux films, on retrouve là un peu de la patte de ce cher Werner Herzog dans Les Nains aussi ont commencé petits, avec cette sorte d'absurdité, de pathos, de cruauté aussi.

Le film commence avec une certaine fausseté dans le jeu, sûrement voulue, un peu énervante, avec cette nonchalante, ce grand rire immense et infiniment agaçant que prend plaisir à effectuer une Claudia Cardinale complètement mièvre, à rire tout le temps de tout et de rien comme les nains de l'autre film de Werner Herzog, encore une fois.

Le couple descendent de leur barque, se précipitent pour aller voir une pièce d'opéra tant attendue. Et on apprend que le personnage de Klaus Kinski veut en construire un, d'opéra, dans son village miséreux perdu au fin fond de l'Amazonie, là où les paysages verdoyants, ou la pauvreté, la misère irradient tout.

La folie d'un rêve inaccessible. L'immense absurdité d'un tel geste, d'une telle situation. L'incongruité dans toute sa splendeur.

Klaus Kinski est sidérant dans son étrangeté naturelle, cette gueule incroyable, atypique, ce regard sans cesse obnubilé, ces grands yeux qui cherchent secours ou qui cherchent, tout simplement.

Et c'est la là première fois que je vois un film avec cet acteur incroyable. Je n'ai même pas vu Aguirre, la colère de Dieu, non. Honte à moi. Mais il y a tellement, tellement de films à découvrir. Du haut de ma frêle jeunesse, j'ai loin d'avoir tout vu, oh que non.

Ce film très lent s'égare un peu au début, se tasse, sûrement à cause du jeu énervant de Claudia Cardinale, qui heureusement disparaît après, pour laisser place à un Klaus Kinski fou, illuminé, un peu cruel, englué dans une profonde naïveté buté, à vouloir hisser coûte que coûte son bateau à travers la terre, à vouloir construire un opéra au milieu de nul part.

Alors le film devient vraiment intéressant lorsque Klaus Kinski se tient seul, avec sa troupe, sur un immense bateau perdu au milieu des flots. La lenteur, l’atmosphère d'une chaleur suffocante, le doux sifflement du silence, des insectes, des oiseaux qui chantent par milliers, aux piaillements omniprésents, en permanence.

Comme dans Les Nains aussi ont commencés petits, il y a une certaine cruauté dans la façon d'être des personnages, dans cette façon qu'ils ont tous à ignorer la beauté, à massacrer les arbres, à prendre pour esclaves des indiens qui n'ont fait de mal à personne, à ignorer la mort, à n'éprouver aucune émotions lorsque deux des indiens meurent écrasés sous l'imposant bateau : et alors la scène est violente, tant par le fait même des deux corps morts, mais par l'inattendue soudaine dans laquelle elle apparaît, brusque, rapide, imprévisible, et aussi par le manque d'émotions des quatre Blancs, cruels, dédaigneux. Bien sûr, après tout, ce ne sont que des Indiens.

Le paradoxe est aussi là : malgré la profonde maltraitance, la profonde haine contre ce peuple d'Amazonie, Werner Herzog les filment avec grande magnificence, captant leur regard, leur visage, par de gros plans beaux et amples, à la photographie complètement sublime, comme les Nains, encore une fois.

L'esthétique du film excelle d'ailleurs dans les nombreux gros plans, tous extraordinaires. Et quand dans la brume le lumineux Klaus Kinski apparaît vêtu de blanc, c'est sidérant.

Et vient la fin. La fin complètement sidérante, d'une beauté à couper le souffle. La grande lenteur de l'immense bateau qui rentre au port, avec Klaus Kinski un cigare à la bouche, un immense sourire aux dents immaculées, et l'opéra grandiose grandiose grandiose, qui chante, qui joue, qui vit au milieu des flots, à travers la verdure, le ciel, les paysages immenses, la terre, seule. Et le visage de Klaus Kinski irradiant l'écran, encore encore et encore, comme un immense enfant heureux.

Et voilà, c'est ça le cinéma, c'est fabuleux, immense : dans seulement deux films pourtant antinomiques, on retrouve déjà des similitudes de ce qui pourrait être la patte du grand cinéaste. Mais cela, je vais le découvrir, peut à peut. Le temps d'une rétrospective de Werner Herzog.

C'est magique.
Lunette
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le 15 mars 2015

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Lunette

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