Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, suivi de nombreux prix et nominations dans divers festivals, en attendant les oscars ou le film a 5 nominations : meilleur réalisateur : Bennett Miller, acteur : Steve Carell, acteur dans un second rôle : Mark Ruffalo, scénario original : E. Max Frye et Dan Futterman, puis maquillages : Bill Corso et Dennis Liddiard. Foxcatcher était très attendu, surtout pour la prestation de Steve Carrel, encensé depuis des mois.

Le film fait honneur à sa réputation et devrait déjà faire parti des dix meilleurs de cette année. Il met la barre très haut, aussi bien dans la mise en scène, que dans l’interprétation, le scénario ou encore, la photographie. Après « Night Call », « Whiplash » ou « A Most Violent Year » entre autres, le cinéma américain continue son introspection, en offrant un visage de plus en plus sombre de son pays. Mais à la différence de ces trois films, il s’inspire d’une histoire vraie, ce qui le rend encore plus glaçant et effrayant.

Nous sommes dans les années 80, celles du libéralisme, initié par Ronald Reagan, le nouveau président des Etats-Unis en 1982. Avec le capitalisme à outrance, cette nouvelle politique accentua les inégalités sociales. C’est dans ce contexte politique et social, que les frères Schultz, Mark et Dave, remporte l’or aux jeux olympiques de Los Angeles en 1984. Trois ans plus tard, on retrouve Mark, s’entraînant dans l’anonymat avec son frère Dave devenu un entraîneur respecté et reconnu. Mark est un homme solitaire, vivant dans l’ombre de son aîné, un homme stable, marié à Nancy et père de deux enfants. Face à la réussite et la stabilité de son frère, Mark semble nourrir une forme de jalousie en lui, s’exprimant lors de leurs affrontements durant les entraînements. Mais un jour, Mark va recevoir un coup de téléphone de la part du secrétaire de John Eleuthère Du Pont, un philanthrope, héritier de la famille Du Pont et se présentant comme l’homme le plus riche des Etats-Unis. Cette rencontre, entre deux hommes socialement à l’opposé, de même qu’intellectuellement, va dramatiquement changer le cours de leurs vies.

Ce fait divers, qui a défrayé la chronique en 1996, devient un thriller psychologique sombre et étouffant, ou plane un sentiment de malaise permanent, dès l’apparition de Steve Carell. Son interprétation est monstrueusement terrifiante. C’est un homme célibataire, héritier milliardaire, au physique disgracieux et vivant dans l’ombre d’une mère castratrice, ayant les traits de Vanessa Redgrave. Son visage est dénué d’émotions, son regard vide, sa voix monotone et son caractère lunatique, fait de lui un homme froid comme la mort. Il devient un père de substitution pour Channing Tatum, qui ne démérite pas face à lui. Mais c’est un esprit influençable, qui va devenir le jouet de cet homme riche, excentrique et s’offrant un athlète, comme il s’offre un char, un trophée en subventionnant une compétition, ou une équipe olympique de lutte, car pour lui, tout à un prix et donc, il peut acquérir tout ce qu’il désire.
Mais tout n’est qu’illusion et l’argent n’achète pas tout. C’est un homme frustré, il vit par procuration sa passion du sport, à travers Channing Tatum. En dehors de la relation père/fils qui s’installe entre eux, il y a aussi cette homosexualité refoulée qui transpire dans leurs corps à corps. Au début absent, Steve Carell se fait de plus en plus présent durant les entraînements, jusqu’à s’octroyer le rôle de coach, en finançant une fiction sur la préparation qui doit les mener aux Jeux Olympiques de Séoul en 1988.

La réalisation est sobre, Bennett Miller colle sa caméra aux corps, filmant leurs nuques, leurs épaules voûtées et leurs frustrations sur leurs visages tristes. l’éclairage est sombre, avec une absence de couleurs dans la photographie. Il n’y a pas de chaleur dans leurs vies, elle perce parfois après une victoire, ou le champagne coule à flots, au son du « Fame » de David Bowie, mais elle est éphémère. La solitude de Steve Carell, comme celle de Channing Tatum offre peu de joie, dans leurs mornes vies. Au contraire de Mark Ruffalo, personnage secondaire, mais si important. Sa vie de famille, lui permet de trouver le sourire, de respirer, pendant que son frère étouffe, sous le joug de son mentor.
Bennett Miller a pris le parti de ne montrer que le côté obscur de l’histoire, en gommant tout espoir d’évasion. On est comme Channing Tatum, enfermé dans la propriété de Steve Carell, couper du monde extérieur, des loisirs, de la vie. C’est un manipulateur, il nous étouffe, on est pris au piège et cette fin glaçante, enterrant le rêve américain en une image, s’imprègne durablement dans la rétine.

A travers ce drame, Bennett Miller apporte sa pierre à la démystification de ce pays, en mettant à mal le rêve américain, avec ce personnage de John Eleuthère du Pont. Steve Carell, Channing Tatum et Mark Ruffalo, livrent chacun, une immense performance. Même si le premier concoure pour l’oscar du meilleur acteur, c’est difficile de les dissocier, tant ils semblent indissociables l’un de l’autre.
C’est le film de ce début d’année, le coup de poing direct au foie, nous laissant au bord du ko, tant l’oxygène se faire rare, dans l’univers dérangeant et malsain, de cet homme, qui n’en a que l’apparence.
easy2fly
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le 23 janv. 2015

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Laurent Doe

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