Bon, je ne comptais pas poster de critique, parce que le film m'a pas vraiment intéressée, il m'a juste déprimée. Mais en voyant que tout le monde s'excitait sur Hegel et sa pauvre dialectique, je me suis dit que c'était de mon devoir de faire quelque chose.

Alors, ouais, on retrouve quelques grands traits de la fameuse dialectique. Un maître - le "coach" - qui est asservi à la jouissance, qui a un complexe de domination. Un esclave qui se met complètement au service du maître, pour un temps, et... euh... C'est tout ? J'avoue que je n'ai pas lu les critiques des philosophes cinéphiles, donc il doit y avoir sûrement d'autres similitudes méta-allégorico-poético-philosophiques, mais elles ont échappé à mon esprit rustre et inculte.
Rappelons déjà que la dialectique n'a rien à voir avec de vraies relations dans la vraie vie, c'est juste une étape sur la réalisation de la prise de conscience de soi et l'avènement de la liberté. Une expérience de pensée. Je ne vois donc pas trop l'intérêt de nous la resservir à chaque fois qu'on nous sert une relation un peu crade entre deux personnages. Elle commence par une lutte à mort de pur prestige où chacune des deux consciences, sur un pied d'égalité, met sa vie en jeu pour prouver qu'elle accorde plus de prix à la liberté qu'à la vie elle-même. Le pauvre Mark reçoit juste un appel d'un gros richou qui lui propose une belle montagne de fric pour lutter en arborant ses couleurs. Il n'y a aucune égalité entre les deux protagonistes, et on est dans le cadre d'un contrat de travail plutôt que d'une lutte à mort. Soit.

Bon, je vous vois venir, vous allez me chercher Marx et me dire que le travail est aliénant, blabla, même si la lutte c'est quand même pas surveiller des machines à longueur de journée. Okay, admettons qu'on se retrouve bien avec un type qui a renoncé à sa liberté pour sauver sa vie (entre parenthèses, il a plutôt l'air de penser que se trouver un coach qui n'est pas son frère va lui apporter la liberté qu'il cherche, il n'a jamais consciemment accepté de se soumettre à du Pont, il finit simplement par l'être sans s'en rendre bien compte) et un autre qui a tout pouvoir sur lui, grâce à l'argent ici. J'aimerais savoir à quel moment a lieu le renversement dialectique (parce que si ça s'appelle dialectique c'est pas pour faire joli, pas entièrement en tout cas). L'esclave qui s'aliène au maître retrouve sa liberté dans le travail, parce que le travail lui permet de nier sa dimension corporelle et d'objectiver son esprit dans les choses, donc de rendre objective sa conscience de soi (le but de la lutte au départ). Je résume, mais on n'est pas là pour faire un cours. Vu l'issue du film, j'ai pas vraiment l'impression que c'est ce qui arrive à notre ami Mark.

Une dialectique qui a échoué ? Le pessimisme d'une vision noire de l'homme qui ronge notre pauvre Hegel, en train de se retourner dans sa tombe ? Dans ce cas, c'était même pas la peine de l'invoquer, il ne vous a rien fait. Bon, il mérite une punition pour avoir écrit la Phénoménologie (et pour avoir critiqué Kant), je suis bien d'accord, mais dans un autre lieu que dans un film. Ce que je vois dans la relation de du Pont et de Mark, c'est surtout un type paumé qui tombe dans le piège d'un psychopathe haïssable et qui en paye lourdement le prix. A grand renfort de brillante psychologie :
- Mark a grandi dans l'ombre de son frère, parents divorcés donc gros traumatisme, jamais eu de repères (merci pour son frère) etc.
- Et l'autre minable qui se permet de devenir un salaud juste parce que sa mère n'aime pas la lutte,. Mommy issues, that escalated quickly. Aussi parce qu'il est moche et nul, mais ça, c'est pas non plus une raison pour tuer les gens.

(oui, c'est une critique spoiler)

Ce que j'essaye de dire, c'est que le film me semble plus banal et terre à terre que ce qu'en pensent les gens. Une critique de l'argent, certainement. La descente en enfer d'un pauvre hère pris au piège comme un rat, aussi. Et certainement d'autres choses - et là je ne suis pas ironique - mais je ne pense pas qu'on assiste à une dialectique du maître et de l'esclave, ou sinon c'est mal fait. L'intérêt du film me semble ailleurs, dans une relation toxique entre un homme qui vit dans l'illusion, au bord du gouffre, et fait une chute très dure et un autre homme qui, aveuglé par son rêve et ses peurs, s'expose à la manipulation du premier.

J'aurais pu aimer le film, mais je lui ai trouvé des défauts difficilement pardonnables. D'abord le rythme était mou. Dans un film sur le sport, je m'attends à un peu plus d'excitation. La lutte a paradoxalement une place anecdotique dans le film, je veux dire qu'on a juste de brefs aperçus des matches, on voit quatre gus qui courent de temps en temps, et même si le sport est très présent à l'écran, il n'a pas beaucoup d'intérêt. Je n'ai pas été emportée avec Mark, il m'a juste laissé un peu médusée dans mon siège. Profitons en pour préciser qu'il a le charisme d'une huître et que j'ai eu envie de lui foutre un coup de pied au cul pendant deux heures. Un film à oscar ? J'espère qu'ils comptent pas lui filer à lui.
Autre chose qui m'a dérangée, c'est le personnage de du Pont. Il est tellement haïssable, misérable et pourri jusqu'à la dernière fibre de son corps dégoûtant que j'ai été mal à l'aise. Alors oui, c'est peut-être un parti pris esthétique de déranger le spectateur, de lui infliger deux heures de pitié et de crainte. Mais la catharsis n'a pas eu lieu, j'en suis restée à la nausée. Et, peut-être que ce n'est pas le cas pour tout le monde, mais je ne vais pas au cinéma pour passer un mauvais moment et ressortir le moral dans les chaussettes. Ce n'est pas le genre d'angoisse un peu sourde qu'on ressent quand on a vu quelque chose qui vous fait réfléchir. C'était juste un vague dégoût. Ouais, il existe de gros cinglés. Mais encore ? Si je dois m'en prendre plein la gueule, j'aime au moins que ça ne soit pas complètement gratuit. C'est comme ces types qui vous pondent des trucs ignobles et osent appeler ça de l'art (du type Damien Hirst et les restes d'animaux qu'il aime bien exposer, lol).

Bref, cette critique est plus longue que je ne l'aurais voulu. Mon but était surtout d'exprimer mon scepticisme par rapport à la couleur pseudo-hégélienne du film. Pour le reste, je suis juste ressortie de la salle avec un goût amer au fond de la bouche, mais qui n'est pas resté assez longtemps pour signifier quelque chose.
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le 25 janv. 2015

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