France de Bruno Dumont est une œuvre dense, à la fois drôle et désespérée, cynique sur le spectacle de l'information, le film dresse le constat amer d’une bourgeoisie tournant à vide, qui ne sait rien faire d’autre que s’auto détruire. Le portrait dressé de France de Meurs n’est pas reluisant : d’une bêtise effarante et d’une vulgarité crasse, Dumont tire à boulets rouge sur ce que représente alors la bourgeoise type et le monde du journalisme et les moments de gênes se multiplient (comment ne pas se sentir mal à l’aise devant ces 2 personnages mimant des actes sexuels en pleine conférence de presse d’Emmanuel Macron ?). France est bête, France est froide, France ne peut aimer ni son mari, ni son enfant, qu’elle ne supporte plus. En fait, France n’aime personne d’autre qu’elle-même, elle est sa propre star et se met en scène dans ses reportages truqués, qu’elle regarde sans aucune modestie ensuite en plateau.

Mais France, entre reportage truqué, mégalomanie débordante et vie de famille en berne, va avoir une révélation. Et si ce qui était important, c’était les gens, les vrais ? C’est là que le talent de Dumont pour filmer les gens prend son envol, il filme la famille de cet accidenté de la route avec une véritable tendresse, et arrive à tirer une vraie fragilité de ces personnages dont on n’a jamais envie de se moquer, malgré leurs accents improbables et leur difficulté à s’exprimer.

C’est alors que le film change de registre, terminé la critique acerbe d’un système, d’une bourgeoisie recroquevillée sur elle-même (et ça, la séquence du débat qui se solde par les 2 opposants partant ensemble tout sourire 5 minutes après s’être foutus sur la gueule sur un plateau, le représente très bien), France va alors tenter de s’extirper de ce milieu en prenant conscience des choses. Pas toujours avec subtilité (la réplique « je n’ai jamais donné d’argent de ma vie pour pouvoir en donner un jour » est savoureuse) mais quand même.
Puis suite à un évènement, Le film repart pour un tour, encore un reportage, qui fait craquer France, en le revoyant sur un plateau, exit l’air supérieur, bonjour l’introspection. France craque sur les plateaux télés, France donne de l’argent, France fait des cadeaux, France quitte son travail, France cherche un but à sa vie.

La plus belle séquence du film arrive au milieu du film, où Dumont déploie avec efficacité tout son talent pour filmer la tendresse. France tombe sous le charme d’un professeur de latin, et d’un coup on a l’impression qu’elle retrouve le bonheur en oubliant la condition de sa classe sociale. Le film s’ouvre, fini les plans isolant France dans le flou, place aux grands espaces, où elle est souvent décadrée, ramenée à sa condition d’être humain face à l’immensité de la nature, une immensité écrasante, mais magnifique (Dumont étant vraiment un des plus beaux paysagistes qu’il m’ait été donné de voir).

Mais alors que l’on croit avoir droit à un film sur la rédemption d’une bourgeoise, Dumont nous reprend ces instants et repart pour un tour, la bourgeoisie récupère ses droits, France retourne dans sa classe sociale avec violence et tout le procédé filmique du début revient, c’est alors que France, résignée, bascule et va bien plus loin que tout ce qu’elle a déjà pu faire (les derniers reportages sont hallucinant de voyeurisme). Beaucoup plus manipulatrice, beaucoup moins empathique, beaucoup plus effrayée. France passe d'actrice à temps plein à victime de la bourgeoisie, qui l'aura broyé.

Et le dernier plan est éloquent, alors même que durant sa cure en pleine montagne, nous avons droit à une magnifique étreinte (la seule du film), la fin, pourtant avec les mêmes personnages, se soldera par une distance et un instant froid, malédiction inéluctable de France, qui aura donc tout perdu, y compris sa force.

Au fond, la bourgeoisie peut-elle aimer ?

Snakier
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le 28 août 2021

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