La perplexité c'est le sentiment qui m'a toujours envahi devant les Dumont qui sortent un peu des sentiers battus, j'entends par là de ses films post 2016, à partir de Ma Loute.
J'ai une grande affection pour son début de carrière, mon préféré étant Flandres qui réussissait à sonder ce qu'est réellement l'amour entre deux êtres qui se mécomprennent, ainsi que de la guerre qui s'impose comme une explosion abrupte des plus imprévisibles et sadiques, qui plus est un sadisme quasiment justifié qui nous laisse dans l'embarra, impuissant. Je citerais volontiers La Vie de Jésus et son contexte social poussant les habitants à se vautrer dans ce qu'il y a de pire en eux, racisme décomplexé, objectification de la femme, mais aussi à des tendresses animalières touchantes, par extension il y a évidemment L'humanité, P'tit Quinquin. Bref, je préfère largement lorsqu'il garde ses pieds dans l'épuration du bucolisme avec ses personnages autistiques mutiques plutôt que de le voir produire des bizarreries tentatives ovniesques.


La critique sur la bourgeoisie, avec l'allégorie à peine refoulée de notre pays, nous saute aux yeux, et ce qui aurait pu être une bonne comédie satirique, Dumont préfère épancher dans quelque chose de mélancolique. Mais à l'instar de Jeanne, le spectateur ne sait pas où se mettre, oscillant entre le fou rire intense, l'émerveillement face à autant de fastes, la tristesse de certaines tragédies à tel point que tout sature et qu'on reste figés dans l'inexpression donc plus rien n'opère vraiment. À fortiori quand l'héroïne est sans arrêt dans ses propres contradictions risibles.
Alors ici Dumont explore quelque chose de vrai qui est l'aliénation bourgeoise et une volonté de s'en émanciper, le manque d'expérience sensorielle du réel pousse un jour ou l'autre les bourgeois à les vivre, et ici le réalisateur le traduit par de multiples saynètes dans lesquelles France de Meurs, alors encore dans une prise de conscience, décide de franchir le pas, hélas maladroitement, ce qui donne des scènes où elle s'aventure frivolement sur des terrains de guerre et est submergée sporadiquement de tristesse. Mais nous en tant que spectateur on n'a pas pitié d'elle, d'autant plus lorsque cette dernière, après des prises de vidéo faussement solennelles, part se réfugier dans une villa avec une immense piscine.
Léa Seydoux a eu une prise de conscience lors d'un accident de voiture qui fait l'objet de bascule dans sa vie, or ce qui est censé être une grosse tragédie s'amorce comme une blague risible, et cette risibilité ne cesse de perdurer, c'est bien ce décalage entre le mode de vie bourgeois et le monde réel qui la crée, rajoutons à cela des moments à blancs et ces musiques à l'effet électro-ambient étrange presque inopportunes et vous avez un pur OVNI quasi hermétique.
Evidemment que Dumont cherchait cet effet, c'est clairement pas le dernier des abrutis sur Terre, mais c'est justement toute ma question, pourquoi ? Que cherchez-vous à me faire vivre concrètement ? Parce qu'encore une fois je sors de ma séance dans la totale incompréhension. Et puis qui c'est ce Charles ? Qu'est-ce qu'il est censé incarner ? Et cette fin ?


Tant de mystères dont seules les fans aguerris peuvent espérer décrocher la réponse. Pour ma part, il reste un objet intrigant bien qu'il tombe un peu à plat.

Ivan-T-K-M
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le 10 sept. 2021

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