Convoquer les fantômes de l'histoire, tel a souvent été et l'est encore, au regard de ce fascinant Francofonia, le credo de Alexandre Sokourov, l'un des plus prestigieux artisans du cinéma contemporain. Partant d'un postulat type l'Arche Russe en France, c'est l'occasion pour le cinéaste de creuser ses thèmes de proue encore plus loin. Dans le plan-séquence d'une heure et demie qui composait la visite du musée de l'Ermitage, Sokourov s'essayait déjà à un exercice très périlleux : jamais très loin de la démonstration de style, l'Arche Russe retranscrivait ainsi deux époques au sein du même cadre, laissant les spectres des toiles s'animer librement. Mais la contrainte du seul plan semblait presque forcer Alexandre au passéisme : trop béat d'admiration et de nostalgie pour ce qu'il filmait, le cinéaste s'efforçait, sans grand succès, d'y incruster la modernité, pour jouer le contraste.


Dans Francofonia, la velléité formaliste a, à moitié, disparu, et le film lorgne vers les premiers travaux historiographiques du grand monsieur (l'Elégie soviétique, Mournful Unconcern). C'est par un étonnant mélange des médias (numérique pur, effet vieille pellicule, images d'archive), et des formats, que Sokourov parvient ici pleinement à faire cohabiter, et bien plus encore, plusieurs époques, de l'emphase révolutionnaire à l'Occupation, en insérant cette fois-ci, soit par à coups, soit directement dans la mise en scène costumée, la modernité. Cette juxtaposition est parfois un peu bancale mais elle est le plus souvent salutaire pour un cinéma qui n'a jamais cessé de regarder vers l'arrière pour appréhender l'avant. Et elle offre également des scènes d'une étrange beauté. Bien aidé par l'héritage classique pictural et musical que son immense filmographie a toujours convoqué, Sokourov mêle les échelles, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, de l'anodin de quelques vies aux grands bouleversements de l'histoire collective. On identifiera facilement l'apport de ses plus grandes œuvres documentaires dans cette épopée à la fois minimaliste et monumentale.


Comme quoi Sokourov est toujours un cinéaste aussi important.

Nwazayte
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le 8 janv. 2016

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