C’est l’histoire d’une île méditerranéenne et au-delà de cette île, c’est ainsi que le suggère le sous-titre français du film : « par-delà Lampedusa ». C’est une île pas comme les autres. Un carton nous renseigne d’emblée : cette terre sicilienne est un carrefour de la crise migratoire. En effet, étant située à « mi chemin » entre l’Afrique et l’Italie, elle est un port d’accueil pour les milliers de migrants qui souhaitent rejoindre le continent européen chaque année.


 Gianfranco Rosi aurait pu s’en tenir à un documentaire stricto sensu sur les naufragés de cette île, leurs conditions de survie dans les coques de noix qui leur permettent de traverser la mer, ainsi que leur étrange quotidien dans cet éphémère terre de transit, ce qu’il fera aussi, bien sûr, tout en racontant un autre quotidien, plus inattendu pour le coup, puisqu’il suit celui d’un garçon de douze ans, Samuele, né à Lampedusa, curieux, solitaire. Très vite c’est un cousin de celui d’Homeland, Irak année zéro mais aussi de celui d’Où est la maison de mon ami. Ils ont au moins en commun qu’on voudrait découvrir le monde à travers leur regard, qu’il soit fait de beauté comme de souffrances.
On peine d’abord à trouver un lien déterminant, entre l’histoire de ce garçon et le sort des migrants, sinon que les seconds débarquent en permanence sur la terre du premier, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte. Sa défaillance visuelle fera une passerelle métaphorique aussi appuyée que passionnante : Ses yeux ce sont un peu les nôtres. Son lance-pierres qu’il se confectionne religieusement pour viser les oiseaux, c’est un peu la matérialisation des œillères que chacun se fabrique afin de ne pas voir ce que Rosi définit comme étant « le plus grand massacre humain depuis l’Holocauste ». Cet œil faible qu’il faut stimuler en reposant l’œil fort c’est sans aucun doute le message politique revendiqué par le film. A Lampedusa, vivants et survivants ne se croisent jamais.
Fuocoammare est surtout l’occasion de filmer la vie sur cette île méditerranéenne. Filmer la classe de l’école où se rend le jeune Samuele, un cours de lecture, ses copains. Mais aussi filmer la famille de Samuele, les intérieurs, un repas, une discussion père/fils. Filmer aussi le speaker de la radio locale, qui passe les informations concernant les arrivées, les corps repêchés du week-end, avant d’envoyer une variété italienne ringarde, crachée ici dans un vieux transistor de cuisine. Filmer aussi le médecin, directeur du dispensaire de l’ile, dévoué à ces hommes, femmes et enfants, souffrant régulièrement, agonisant parfois, trop souvent ; Ecouter son engagement, lui qui remet sa vie au sauvetage de ces gens fuyant la pauvreté ou la guerre ; Lui qui n’a comme unique credo qu’un Homme, si tant est qu’il en soit un, se doit de porter secours à son prochain.
C’est un film tout en résonnances. La plus forte étant bien entendu cet appel au secours à peine audible dans une radio, de ce qui pourrait bien être une embarcation sur le point de sombrer, à laquelle répond la découverte, plus tard dans le film, de corps entassés en soute, ceux qui ont payé moins cher pour effectuer la traversée, dit-on. Le film prend son temps pour en venir à cet insoutenable et quand il y parvient c’est heureusement moins pour créer du choc que pour illustrer, plutôt accompagner ces appels perdus dans la nuit et les paroles de ce médecin qui plus tôt racontait qu’il ne s’habituera jamais à voir des cadavres. Il fallait aussi filmer la mort.
Plastiquement le film est puissant. Qu’il s’intéresse au départ nocturne d’un hélico en pleine mer ou bien à cet immense arbre que Samuele tente de grimper le jour, à un repas de famille ou à une partie de football entre pays de réfugiés. Ce sont des images de Lampedusa, des migrants, de la vie d’un petit garçon, d’un quotidien de sauveteurs qu’on n’a jamais vu ailleurs auparavant, donc un film inédit, aux images nouvelles qui s’érigent contre celles, plus lisses, que la télévision nous martèle.
JanosValuska
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le 10 juil. 2019

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JanosValuska

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