Le bistrot est un terrain particulièrement familier pour Claude Sautet : lieu de rencontre, point central de réunion des habitués, il cristallise une micro société que le cinéaste s’est toujours donné à cœur de retranscrire, avec un talent pareil pour passer d’un groupe à l’autre, isoler des individus tout en restituant une atmosphère collective. Dans Garçon !, c’est le ballet des serveurs qui devient le propos lui-même, et les clients des seconds rôles. Comme à l’accoutumée, il sera question de projets, d’échecs et de ruptures ; Sautet sait qu’il refait souvent le même film, et qu’il peut ou non développer ce canevas éculé des relations humaines. Il le signifie ici par le placement d’un couple d’habitués, second plan permanant des services, avant l’une des dernières images où l’on aperçoit subrepticement que l’homme est seul. Sans commentaires, tandis qu’au-devant de la scène se jouent d’autres ruptures.


Après les focalisations plus accrues sur ses personnages, qu’ils soient féminins (Une histoire simple) ou masculins (Un mauvais fils), Sautet reprend une mélodie plus connue, celle du film sur une communauté. Ici, on virevolte entre les ex et les nouvelles, les projets financiers de parc pour enfant, l’argent semblant une composante inévitable pour les personnages. Montand, gentiment maladroit, tendrement escroc, gouailleur, avance en affaire comme en amour, avec ce charme un peu clinquant qui a toujours nourri son jeu. Reconnaissons qu’il commence néanmoins à se faire un peu vieux, et que son idylle avec la sémillante Nicole Garcia n’est pas des plus crédibles. On lui préfèrera ses querelles de collocation entre vieux célibataires avec Jacques Villeret et la restitution d’un milieu professionnel dans lequel fusent éructations et plaisirs du vivre ensemble, au détour de scènes que seul Sautet sait filmer et dans lesquelles on affirme « Je n’aurai pas l’émotion facile, mais je vous remercie d’être mes amis ».


La musique, très empruntée aux comédies américaines de l’âge d’or, allège le propos qui se voit résumé dans sa scène finale, typique du cinéaste : une pluie torrentielle sur le parc où presque tous les amis se sont retrouvés, à l’image de la réunion nocturne dans Mado, ou de l’incendie de la cabane dans Vincent, François, Paul et les autres.


Certains brillent par leur absence, muette ou non, mais la vie continue.


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Sergent_Pepper
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le 14 déc. 2015

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Sergent_Pepper

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