Précédé de ce côté-ci de l’Atlantique par des avis ultra-favorables, le film de Jordan Peele, Get Out est sorti sous une pression maximale liée à son succès. Tourné avec un petit budget de 5 M de $, il en a ramené en deux mois déjà autant que, au hasard, Bienvenue chez les chtis (Dany Boon – 2008), benchmark franco-français certes, mais une référence absolue tout de même en matière de succès commercial, et deux fois plus que The Visit (M. Night Shyamalan – 2015) de Blumhouse, la même maison de production que Get Out.
C’est donc toujours avec appréhension qu’on va voir de tels films-phénomènes, dont on ne sait jamais vraiment les raisons pour lesquelles on se précipite pour y aller.


Premier film de son réalisateur Jordan Peele, qui officie plutôt sur Comedy Central dans un duo hilarant Key & Peele, Get Out n’a pourtant rien de drôle, ou pas que. C’est l’histoire de Chris (Daniel Kaluuya), un jeune photographe noir qui part en week-end dans sa belle-famille Wasp pour la première fois. Après un préambule mystérieux et déjà inquiétant, le film démarre (un peu) comme tous ces teenage movies dont l’Amérique a le secret de fabrication. Chris et sa petite amie Rose (Allison Williams) sont riches et beaux, s’aiment d’amour tendre, traversent une forêt dans une nuit noire pour s’enfoncer dans ce qui aurait pu être un cliché de cabane dans les bois de film d’horreur.


Mais le film est bien plus subtil que ça. Une grande première partie, correspondant à la rencontre de Chris avec ses beaux-parents Dean (Bradley Whitford) et Missy (Catherine Keener), puis plus tard, avec son beau-frère Jeremy (Caleb Landry Jones) est surtout une satire sociale des rapports toujours difficiles entre les noirs et les blancs dans le pays. Jordan Peele fait par exemple dire à Rod (LilRel Rowery), un ami de Chris : « ne va pas dans cette maison de blancs », ou encore il affuble les Armitage (c‘est le nom de la famille de Rose) de domestiques noirs, alors que « s’il avait pu », le père de famille aurait voté une troisième fois pour Barack Obama… Jeremy, le frère de Rose, particulièrement belliqueux, demande, « vu ses gènes », si Chris pratique le free-fight. Un des invités du grand raout plus blanc que blanc qui a lieu plus tard dans le week-end, un golfeur, affirme auprès de Chris connaître et aimer « Tiger ». Tout est à l’avenant, pas toujours d’une grande subtilité, mais reflète assez bien le manque de finesse dans la vraie vie de ce type de réflexions et de cette condescendance d’une élite blanche à tendance suprémaciste vus en tout cas du point de vue de Jordan Peele, et sans doute vus du point de vue des nombreuses minorités, pas seulement ethniques, d’Amérique et d’ailleurs.


Le réalisateur combine donc cette sorte d’étude du racisme ordinaire et larvé avec les codes d’un vrai film de genre qui instaure le malaise à tous les plans, un malaise glaçant à la Rosemary’s Baby (Roman Polanski – 1968), avec des personnages très inquiétants dans leur normalité même. Ainsi, Missy la mère, une psy qui n’hésite pas à faire une séance sauvage d’hypnose et très éprouvante sur Chris pour le faire arrêter de fumer, ainsi les domestiques au comportement étrange et robotique et qui semblent sortis d’un ancien temps, ou encore les amis de la famille qui scrutent le jeune homme devenant de plus en plus paranoïaque, de plus en plus persuadé qu’une énormité en rapport avec lui se cache derrière la façade lisse de son entourage de ce funeste week-end.


Il n’y a pas de temps mort dans le film du jeune cinéaste qui réussit à faire du neuf et de l’original avec un genre largement surexploité. Un rythme soutenu qui alterne scènes de pure terreur psychologique et d’autres plus sibyllines qui ne font qu’épaissir le mystère de ce thriller de très bonne facture. Malgré son statut de comique (stand up, sketches désopilants), Jordan Peele a fait montre d’un grand sérieux pour la mise en scène de son premier film. Mais grâce à ce même statut, la comédie n’est pas totalement absente de Get Out, bien au contraire, et le personnage de Rod, un drôle d’employé de TSA (« TS – f*ing A ») en est l’étendard.


Qualifié d’ « essentiel » , de « nécessaire » par des journalistes américains à fleur de peau par les (sales) temps qui courent dans le pays, Get Out est un film qui interpelle chaque personne interloquée par la notion même de race, chaque personne qui est agacée par une certaine conscience de classe excellemment interprétée ici par les différents acteurs, et bien sûr tout cinéphile en quête du genre, mais également tout cinéphile tout simplement exigeant. Un succès entièrement mérité donc pour ce premier film audacieux et un rien provocateur.


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Bea_Dls
9
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le 7 mai 2017

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Bea Dls

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