Quand on a vu Martyrs de Pascal Laugier et qu'on nous annonce qu'il sort un film d'horreur déconseillé aux moins de 16 ans, on sent venir le trip éprouvant qui voudra remuer le public par sa violence. Pas autant que Martyrs, déjà parce que pour y arriver il faut se coucher tôt et ensuite parce qu'après les difficultés que le réalisateur a eu pour éviter une classification aux moins de 18 ans qui aurait limité sa diffusion à deux salles paumées, on peut comprendre qu'il n'ait pas envie de tenter le diable à nouveau. Mais on retrouve pourtant des éléments qui nous rappellent que ces deux films ont bien été faits par le même réalisateur, notamment la violence qui brise un mental.


Ghostland nous fait suivre une famille d'une mère et deux ados qui débarquent dans une bicoque qui plairait bien aux touristes amateurs de maisons hantées remplies de poupées et de planches qui grincent. Une belle bâtisse qui sert de cadre principal et qui offre une bonne ambiance malgré son côté naturellement cliché. Pour un film qui cite aussi ouvertement les contes de fées cela colle parfaitement. La famille va subir une attaque surprise extrêmement brutale de deux intrus. Une violence très forte visant à mater toute forme de rébellion qui arrive sans vraiment prévenir pour les personnages. La suite va tâcher de retourner les attentes et de mener le spectateur là où il ne l'attendait pas toujours, malgré un twist qui se devine facilement. Le réalisateur va nous emmener ailleurs pour parler surtout du trauma que provoque une pareille brutalité lorsqu'elle dépasse nos limites et se montre trop fulgurante pour qu'on puisse protéger sa santé mentale.


J'ai déjà cité Martyrs mais il fut difficile pour moi de ne pas y penser tant ce thème se montre étrangement rare dans les films de ce genre. Les deux long-métrages montrent la difficulté de passer outre une pareille épreuve et de continuer à vivre comme avant, ce qui ramène la violence à l'horreur qu'elle est réellement plutôt qu'à une usine à sensations fortes dont on se remet instantanément une fois le manège terminé. On nous rappelle ses conséquences psychologiques et on regarde les gueules cassées droit dans les yeux. On pourrait donc se demander ce qu'apporte Ghostland à Martyrs qui a déjà déblayé le terrain, ce qui serait un peu injuste envers Ghostland même s'il souffre de sortir en deuxième. Il part dans une autre représentation de la folie en se basant sur celle de Martyrs pour mieux (tenter de) nous cacher l'autre forme qu'elle peut prendre ainsi que les mécanismes de défense qui vont avec. C'est toutefois traité trop simplement avec un basculement qui survient un peu comme ça, mais on ne pouvait sans doute pas faire une progression beaucoup plus réaliste pour une question de rythme.


Comme on pouvait s'y attendre avec Pascal Laugier l'image est classieuse et il sait instaurer une brutalité à ses pugilats. Contrairement à d'autres je n'ai pas été dérangé par les jumpscare, l'un d'eux se montrait même judicieux en servant de fusil de Tchekhov inattendu. La réalisation fait aussi un lien avec le passage à l'âge adulte symbolisé par toute cette imagerie des contes de fées, ça fait le beurre de nombreuses personnes mais je ne trouvais pas que cela renouvelait tant que ça le propos. Il y a malgré tout le pouvoir de l'imaginaire qui plane, sans que l'on sache trop si c'est sain ou non. Tout cela donne une ambiance travaillée avec les petites filles confrontées à un ogre et une sorcière, on obtient un conte cruel comme on en voit peu. C'est plutôt cool et donne de la personnalité au film, sans pour autant me mettre la tête à l'envers au sujet du scénario.


En revanche j'ai un problème avec l'attaque du début. Elle fera son effet sur pas mal de gens car les corps sont salement malmenés comme on s'y attendait et ça ne laisse pas respirer. Ce qu'il se passe est largement suffisant pour déclencher un trauma chez ceux qui le subissent. Mais c'est comme je m'y attendais justement, et les nombreux films violents que j'ai vu (encore Martyrs, qui a placé la barre très haut) font qu'il m'en faut plus pour être dérangé quand la violence arrive là où on l'avait prévu, le programme étant très clair pour cette intro. Le problème ne réside pas dans ce qui est filmé, ça va déjà assez loin et je ne demandais pas quelque chose d'encore plus violent. Le problème est dans la façon de le filmer. Pascal Laugier a choisi de faire une représentation du chaos : beaucoup de fracas et un enchaînement ininterrompu d'événements sur lesquels les personnages n'ont pas le contrôle. Ce qu'il m'aurait fallu pour ressentir plus viscéralement le trauma qui s'en suivra, c'est que la caméra impose une plus grande insistance malsaine sur ce que subissent les personnages. Que l'on ait l'impression que le cauchemar n'ait pas de fin et s'accentue, continue, encore, encore, ENCORE, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'espoir ni de retour en arrière possible, que la raison soit poussée au-delà de ses limites comme les corps des héroïnes de Martyrs l'ont été. Peut-être qu'un usage de quelques trop gros plans dérangeants aurait aidé comme dans la scène du dîner de Massacre à la tronçonneuse, ou peut-être qu'il aurait fallu distordre l'image et le son en crescendo, les rendre insupportables. Là je me sentais comme un simple spectateur impuissant mais à l'abri, au lieu d'être à la place des victimes.


C'est un semi-échec pour moi sur cette scène, mais la suite a du répondant. On se traîne encore quelques soucis, comme des effets de frousse façon maison hantée qui ne m'ont pas toujours bien convaincu, ou une citation répétée de Lovecraft qui me paraît assez hors-sujet ici vu que le seul point commun entre ces œuvres horrifiques se trouve dans le recours à la folie. Il y a quelques débordements sur la violence vers la fin qui finissent par en diminuer l'impact. Mais on a aussi quelques scènes très bien senties. Par exemple il y en a une qui joue sur la peur psychologique en nous avertissant de ce qui nous attend et en faisant bien durer la scène et donc le malaise. Il y a aussi le renoncement qui est bien employé de deux manières très différentes, dont une qui sert véritablement l'horreur. Pascal Laugier sait relancer son cauchemar et le fait durer comme il faut, sauf durant cette intro.


Ghostland me gêne car il ne lui manque pas grand chose pour être vraiment bon. Finalement je pense que tout s'est joué à cette attaque alors qu'elle est loin d'être oubliable : beaucoup se l'ont prise de plein fouet, d'autres l'ont trouvé grossière dans sa violence comme le reste du film, et moi j'ai l'impression d'être le seul couillon qui l'a trouvée pas mal sans aller au bout. Et pourtant le reste du long-métrage va loin en restant cantonné à 1h30, une durée judicieuse. Il fait cependant partie de ces films qui, même imparfaits, restent dans la tête. Que demander de plus à un fantôme que de revenir occasionnellement nous hanter ?

thetchaff
7
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le 26 mars 2018

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