Ici les temporalités s’enchâssent, on saute du présent au passé puis à un passé plus lointain encore, comme dans un rêve éveillé. L’héroïne n’hésite d’ailleurs pas, dès les premiers instants du film, à se droguer pour faire passer le temps et oublier. Dans cette valse hard rock des corps déshumanisés – tantôt sous uniformes, tantôt à l’allure monstrueuse – s’attirent les contraires : un lieutenant retrouve le criminel de son cœur, les malfrats s’allient à l’armée pour combattre l’ennemi. Il y a ici un mal du siècle, un virus échappé des profondeurs de Mars qui se répand de corps mort à corps vivant sous un brouillard rouge. Quand The Fog rencontre Vampires et Assaut. Le fond de l’air est rouge et tourne à la révolte sur fond de revendications libertaires : les mineurs subissent les méfaits d’une poche de gaz (rappelant les intoxications liées au mercure) et s’automutilent avant de piquer les têtes des dirigeants à la manière des Révolutionnaires de 1789. L’intertexte historique sous-tend l’ensemble du récit et change l’affrontement en lutte des classes où le Mal n’est finalement pas celui que l’on croit, puisqu’il est gorgé d’une quête pour la liberté. Sur cette planète rouge, c’est bien tout le cinéma de Carpenter qui se rejoue en version série Z : dialogues outranciers et bêtes, musique hard rock, mise en scène alerte. Car il serait réducteur de s’arrêter à ce premier niveau de lecture, qui n’en constitue que la couche superficielle. Derrière l’action bourrin se cache un propos assez fort sur la solitude et le désespoir à l’heure du matérialisme triomphant : ces fantômes explicités dès le titre se pensent comme les corps sans âme d’un corps plus vaste qui serait le corps ouvrier. Privé de son identité, ce dernier tend à recouvrer ses droits à mesure que les têtes tombent et qu’on se pare du visage d’autrui comme d’un masque, rappelant d’ailleurs Halloween. C’est un corps marginal qui se soulève là où l’on agonise ; pour l’incarner, Carpenter puise dans l’imaginaire contestataire des mouvements punks et gothiques. Dommage, toutefois, que la dimension régressive soit si fortement appuyée, donnant l’impression que le film se fait la dupe de sa propre sottise. Ghosts of Mars demeure une belle surprise de la part de John Carpenter qui frappe là où on ne l’attendait pas pour proposer une révolution sociale spatiale aux retombées terrestres.

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le 8 avr. 2019

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