« Comics ? » Qui a parlé de « comics » ?!

En 2017, M. Night Shyamalan avait réussi à nous surprendre avec son long-métrage « Split » qui, sans que personne ne s'y attende, et seulement avec une petite scène en tout début de générique, était parvenu à créer un lien subtil avec son quatrième film : « Incassable » - une œuvre sortie dix-sept ans auparavant - et à susciter l'intérêt du spectateur pour son prochain projet.


Avec cette fameuse scène, Shyamalan nous avait permis une nouvelle fois d'éprouver le doute et la fascination, des sensations bien caractéristiques de son travail de cinéaste qu'il procure en façonnant son univers de mystère, toujours à cheval entre la réalité et le fantastique. D'autant plus surprenant que Shyamalan nous avait laissé sur notre faim depuis une dizaine d'années, sans proposition cinématographique vraiment intéressante depuis « Le Village » ou encore « La Jeune Fille de l'eau ».


La première difficulté à laquelle se confronte « Glass » est de construire une histoire qui soit cohérente et qui puisse faire le lien entre deux métrages fondamentalement différents et séparés par presque deux décennies. C'est d'ailleurs l'un des défauts principaux du film : on perçoit assez aisément qu'il s'agit davantage d'une suite de « Split » que d' « Incassable ». Le traitement narratif du personnage de David Dunn est plutôt léger et ne lui donne pas de réelle évolution, finalement, le héros ne se contente que de jouer son rôle, en opposition à la vingtaine de personnages constituant La Horde qui concentrent l'attention et l'intérêt du spectateur durant tout le métrage.


Le film se focalise sur un aspect psychologique que l'on rattacherait plus facilement aux antagonistes Kevin Wendell Crump et Elijah Price : celui de la souffrance, de la solitude et du rejet social, celui qui touche des âmes brisées que Shyamalan nomma lui-même au sein de son œuvre : « les broyés ». Pourtant, même cette thématique pour le moins intéressante et qui avait été introduite dans le film précédent n'est pas développée, elle n'est qu'évoquée au cours de l'histoire. « Split » laissait bien plus de place à la réflexion sur le rôle de la douleur, du déchirement physique et psychologique, et de l'affliction sur des êtres évolués et vivant au sein d'une société d'individus dotés d'une conscience émotionnelle et existentielle. Il aurait pu être plus constructif d'approfondir la chose de ce côté-ci et de faire un parallèle pertinent entre la psychologie des personnages de Glass et, peut-être, celle de vraies personnes auxquelles le spectateur pourrait s'identifier.


Autre déception, le concept sur lequel se repose l'intrigue manque également de développement : trois individus hors-normes, enfermés contre leur gré dans un établissement psychiatrique et encadrés par une thérapeute (Sarah Paulson) qui tente de les convaincre qu'ils ne sont ni plus ni moins que des hommes ordinaires épris de délires égocentriques. Le postulat de base était vraiment très intéressant, mais j'estime qu'il n'a pas été pleinement exploité et qu'il aurait vraiment été intelligent de concentrer la force du film sur cet aspect de « guérison de l'esprit », une dimension purement psychologique mais fascinante.


Néanmoins, « Glass » a tout de même quelque chose à nous proposer : la réappropriation des comics, de leurs codes et de leur interprétation au cinéma. Le traitement de la chose est déjà bien différent en comparaison avec les deux premiers volets de la trilogie qui étaient des films centrés sur leur protagoniste. Ici, nous avons trois personnages, instigateurs d'une intrigue qui évolue progressivement sur un enchainement d'évènements, en apparence indépendants mais qui finalement construisent le récit pour atteindre un objectif unique, un seul accomplissement qui sera le dénouement de l'histoire. Parfois un peu artificiel, le scénario évolue assez mécaniquement, avec des péripéties dont l'usage ne sert qu'à progresser jusqu'à la séquence finale du film. Malgré des maladresses dans son écriture, « Glass » nous offre tout de même une proposition inédite concernant l'univers des comics : un vrai film de super-héros, avec un héros et des vilains bien plus sincères, bien plus humains, en proie aux émotions et à la difficulté de faire un choix et d'en subir les conséquences... Cette réappropriation du genre nous permet de souffler un peu et de reprendre espoir dans la catégorie des films super-héroïques, dont les écuries Marvel et DC ont presque réussi à nous en dégoûter à cause de la multitude de projets qui sont sortis ces quinze dernières années : des projets formatés sans une once de démarche artistique transformés en produits de consommation mondialisés, inconséquents, d'une esthétique souvent douteuse et qui surtout n'apportent rien en termes de réflexion ou de technique cinématographique.


Malgré un certain travail sur le son (avec la musique) et quelques idées sympathiques de mise en scène (notamment pendant la séquence "psychologique" avec nos trois protagonistes dans l'immense salle de couleur rose), le métrage souffre aussi d'un manque au niveau du jeu d'acteur, ce qui peut limiter l'expressivité des personnages. Même s'il est agréable de voir Bruce Willis dans un rôle correct - au vu des navets dans lesquels il joue depuis plus de dix ans -, son personnage est malheureusement en retrait par rapport aux autres. Samuel L. Jackson délivre une performance honorable, mais sans plus. À l'image de « Split », c'est globalement James McAvoy qui retient une nouvelle fois l'attention en jouant à plusieurs reprises différents personnages durant une seule et même scène. Fournissant un travail plus qu'appréciable, il faut l'avouer, je trouve néanmoins que sa performance est un peu moins spectaculaire que dans l'opus précédent.


En dépit de certaines erreurs ou bien de concepts pas assez exploités, « Glass » demeure un métrage très satisfaisant de la part de M. Night Shyamalan, dont le talent commençait à être remis en question au vu de ses derniers projets. Le tour de force réside, selon moi, dans la réappropriation des comics et de leurs codes sur le grand écran. Le film transpire un amour qui semble honnête, de la part du cinéaste, envers ces bandes-dessinées iconiques de la culture nord-américaine du XXème siècle. La vision figurative de l'individu aux capacités démultipliées, l'image du « surhomme » est contextualisée et mise en scène avec subtilité dans un registre plus réaliste, plus constructif dans son propos, et plus humain finalement. Shyamalan se réinvente dans son style de cinéma, depuis toujours dépeint comme un voile mystérieux entre ce qui relève du réel, ce qui relève du fantastique et ce qui flotte entre les deux. Ici, le réalisateur nous fait une fois de plus douter sur la nature des évènements qui nous sont montrés, et leur tournure : « est-ce que ce que je vois est bien la réalité ou simplement l'interprétation d'un esprit égaré ou malade ? ».


« Glass » marque la fin d'une trilogie assez atypique, composée de trois œuvres bien distinctes qui coexistent dans un univers qui, lui, se veut plutôt cohérent et logique. Enfin, Shyamalan casse également les codes conventionnels des comics en prenant la liberté de nous proposer un dénouement surprenant qui s'éloigne clairement des sentiers battus empruntés par beaucoup et qui, malgré la fragilité globale - non absolue mais tout de même présente - de l'œuvre, semble révéler un attachement sincère et précieux pour le genre, démontré par cette réappropriation subtile et respectueuse ce cette catégorie cinématographique de métrages déjà surexploitée.

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le 14 juin 2019

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