Comme tout remake et reboot aujourd’hui, le retour de l’un des monstres les plus légendaires du cinéma nippon et mondial avait entraîné de fortes réactions, surtout depuis l’opus hollywoodien réalisé par Rolland Emmerich. Entre déchaînement des fans et intérêt du public, l’annonce par la Warner d’un Godzilla réalisé par Gareth Edwards avait calmé les ardeurs et suscité la curiosité des plus sceptiques. Il faut dire qu’avec le premier long métrage de Gareth Edwards, Monsters, le jeune réalisateur avait épaté la critique et le public, plutôt sensible à cette invasion extraterrestre sous couvert de poésie et de romantisme. Doté d’un budget de 200 000 $ pour ce premier film (soit rien), Gareth passe d’un extrême à l’autre puisque pour ce nouveau Godzilla, il se voit attribuer une enveloppe de plus de 215 millions de dollars. Autant dire qu’après Pacific Rim de Guillermo Del Toro en juillet dernier, Warner et Legendary croient dur comme fer au retour des monstres géants. Le casting s’annonçant par période, et les nombreux trailers dévoilant quelques plans très intrigants, Godzilla version 2014 avait réussi son coup marketing : devenir l’un des blockbusters les plus attendus de la pré-saison au même titre que le déjà-sorti Amazing Spiderman, le prochain X-Men ou Edge of Tomorrow.

Avant tout, il faut savoir que les différents trailers et la promotion du film ont beaucoup insisté sur le côté « auteurisant » du blockbuster, et Gareth Edwards a mentionné à-qui-voulait l’entendre que ce nouveau Godzilla comprenait un travail énorme sur la mise en scène, la symbolique, l’actualité et les nombreuses références cinématographiques contemporaines du film. Un blockbuster intelligent comme aime l’appeler les différentes critiques. Et après un Pacific Rim qui était non pas un blockbuster intelligent, mais un popcorn movie terriblement jouissif et décomplexé, on était en droit d’attendre énormément de ce film. Il faut reconnaître que le jeune réalisateur n’a pas menti. La nouvelle mouture de ce Godzilla aborde une approche assez inattendue du monstre tout en revisitant sa mythologie, véritable icône au Japon. Devant rebondir après le très décrié Godzilla de Roland Emmerich, Gareth Edwards a décidé de recontextualiser toute la mythologie de Godzilla pour créer ce film. Ainsi, le premier monstre que vous verrez à l’écran n’est pas le célèbre lézard, mais Muto, une créature préhistorique atomique. D’un point de vue extrêmement personnel, si à certains moments la bête s’avère féroce et cruelle, j’ai une préférence pour le bestiaire de Pacific Rim plus poussé, plus monstrueux. Ce Muto, issu des nombreux séquels de la saga au Japon, apporte une vraie touche de nouveauté mais ne convainc pas à tous les niveaux.

Pour revenir à Godzilla, Gareth a eu la bonne idée de ne pas en faire l’ennemi de la population mais plutôt son allié, érigé comme un défenseur de la stabilité mondiale. Et que dire de sa corpulence titanesque, balourde et imposante qui fera beaucoup jaser mais qui pose Godzilla comme un monstre aussi brutal que protecteur. Et quel souffle de feu, une attaque atomique époustouflante ! D'ailleurs, on notera que Gareth revisite le mythe Godzilla avec une volonté de changement, puisque les attaques nucléaires ne sont pas à l'origine du monstre mais plutôt qu'elles sont la volonté de le voir dépérir. Une approche plutôt osé. Très troublé par l’actualité, Gareth n’a pas hésité à faire de très nombreuses références à la catastrophe de Fukushima, ainsi qu’à l’interrogation du nucléaire dans nos sociétés. Souvent, les plans rappellent les premières images reçues de la catastrophe japonaise, sans compter ce tsunami mis en scène ravageant tout sur son passage, entraînant les véhicules et tout objet matériel dans les rues de Honolulu. Cet aspect catastrophe, c’est véritablement la symbolique du film. Gareth Edwards met en scène la puissance de la nature face aux hommes qui ne peuvent qu’assister impuissants à la lutte des éléments représentés par Godzilla et Muto. Dans la seconde partie du film, l’armée conçoit qu’elle ne peut s’avérer qu’être qu’observateur du destin de l’humanité, qui repose entre les pattes de Godzilla. La nature est sublimée par une mise en scène fluide et transportante qui nous fait voyager à travers les forêts, les étendues d’eau, et les îles paradisiaques. L’arrogance de l’homme est à nouveau punie et témoigne d’une capacité à ne jamais apprendre de ses erreurs. Pour l’anecdote, il est intéressant d’y voir une symbolique autour de l’implantation de l’intrigue à San Francisco et sa Silicon Valley alors que le pouvoir du Muto est justement de couper toute connexion éléctromagnétique dans un rayon précis. Une façon de revenir sur ce que disait Bryan Cranston dans la bande annonce : « Cette chose va nous renvoyer à l’âge de Pierre. »

Gareth Edwards se fait plaisir sur la mise en scène, j’entends par là que comme tout dans le cinéma, rien n’est anodin. Mais dans une production de ce type, c’est plus rare et Gareth a fait un réel de travail de metteur en scène aidé par un chef-opérateur extrêmement appliqué, Seamus McGarvey habitué des grosses productions puisqu’il a déjà officié sur Avengers, Sahara ou des films plus intimistes comme Nowhere Boy ou Reviens-moi. Dans une optique très intimiste, Gareth Edwards met l’essentiel du film à la taille d’homme. Ainsi Godzilla dans sa globalité ne sera véritablement perçu que dans le derniers tiers du film. N'étant visible que partiellement ou par apparition pendant une grosse première moitié de film. De nombreux plans subjectifs ponctuent également le film, mettant en avant la terreur ressentie face à notre impuissance devant ces monstres. Ce plan où Aaron Taylor-Johnson saute de l’avion est juste grandiose, laissant apercevoir la lutte des créatures à travers son masque et son regard (limité) d’hommes. Et que dire du florilège de références dans le film ! Les cinéphiles et ceux qui ont une bonne mémoire repéreront évidemment les citations à Jurassic Park, Les Dents de la Mer, Independance Day (ce chien et la foule en panique dans les rues) et même 2001, l'Odysée de l'Espace. Autre point de la mise en scène, je garde en tête une séquence particulière, celle de la dispute entre le père/Bryan Cranston et son fils/Aaron Taylor-Johnson dans l’appartement du paternel. Ex-salarié d’une centrale nucléaire, le père se retourne vers la fenêtre regardant avec regret son ancien lieu de travail ainsi que son reflet d’homme désemparé. Le visage flouté, le père ne peut que se contempler dans le passé et ne jamais aller de l’avant, condamner à périr dans ses recherches incommensurables sur la vérité de la tragédie. Tandis que son fils, net, a la chance de bénéficier encore d’un avenir et peut encore s’en sortir afin de retrouver sa famille. De même dans ce plan, tout est en champ / contre-champs symbolisant l’union impossible entre un père obnubilé par ses théories et un fils qui ne supporte plus de voir son père ressasser le passé. La critique et les cinéphiles seront sensibles à ce genre de positions artistiques mais le grand public restera de marbre devant ce joli travail de montage. C’est d’ailleurs ça le problème du film.

En effet, il est difficile d’appeler cela un reproche mais à force de vouloir séduire la critique après le taulé subi sur le film de Roland Emmerich, la Warner et Gareth en oublient le spectateur lambda qui s’est déplacé pour assister à des séquences entières de destruction, de batailles monstrueuses et d’intensité. Le film prend le temps de se mettre en place, de créer les enjeux et de développer la mythologie Godzilla. En ce sens, c’est très intéressant mais ce parti-pris se fait au détriment de l’intensité et de l’action malgré un combat final ahurissant, aussi destructeur que dans les récents Man of Steel ou toujours Pacific Rim. Toutes les critiques s’accordent également à dire une chose, Godzilla est un vrai échec sur le plan scénaristique, sacrifiant ses personnages pour miser l’essentiel du film sur son monstre vedette. Si en ce qui concerne la mise en scène, Gareth Edwards est irréprochable, en revanche le scénario de Godzilla est tout ce qu’il y a de plus caractéristique dans le blockbuster, vide de profondeur au profit d’un déluge d’effets spéciaux. Aucun charisme n’entoure l’ensemble des personnages, et seul Bryan Cranston sort éventuellement du lot lors d’une séquence aussi poignante que bouleversante. Ce qui se passe avec ce film, c’est qu’il se contente d’afficher une galerie de personnages plus ou moins caricaturaux qui ne servent qu’à mettre en avant le potentiel humain, protecteur et même divin de Godzilla. Il est la véritable star du film. Résultat, tout tourne autour de lui et les personnages s’avèrent cruellement vides de construction et de psychologie. Aaron Taylor-Johnson se contente du strict minimum du réserviste qui rentre au pays tandis que sa compagne/Elizabeth Olsen est une mère aimante et dévouée au travail, typique de ce genre de production. Bryan Cranston s’avère être un plaisant chercheur obstiné marié à une brève Juliette Binoche. Deux scientifiques interprétés par Ken Watanabe et Sally Hawkins se révèlent monstrueusement transparents. Dommage puisque Ken Watanabe est à l’origine d’une jolie symbolique, il est le premier personnage du film à dire « Godzilla », tout un symbole de par sa nationalité japonaise. A noter que l'Armée américaine est moins caricaturale qu’à l’accoutumée, dirigé à sa tête par un commandant joué par David Strathairn.

C’est incontestable, Gareth Edwards rend un vibrant hommage à Godzilla, et son impact dans le cinéma et la culture populaire. Cette mouture 2014 a d’excellents atouts à faire valoir et je reste sidéré sur la liberté obtenue par Gareth sur une telle production. Du moins sur la mise en scène et les thématiques fortes. Il en ressort un vrai travail de passionné, de cinéphile et de metteur en scène. Moins par contre un travail de scénariste tant l’ensemble s’avère pauvre en profondeur et caractéristiques des personnages. Godzilla est la star du film, cela ne fait aucun doute mais il est regrettable que cela se fasse au détriment d’une approche empathique des personnages. Entre le blockbuster léthargique et une vraie volonté de cinéma d’auteur à grande échelle, le second film de Gareth Edwards dépoussière le mythe de Godzilla et en fait un film éminemment intéressant mais bourrés de lacunes scénaristiques. Pour ses soixante ans, on retiendra de cette mouture du plaisir et quelques regrets, qui se fera sans doute aussi rapidement oublié que son aîné emmerichien.
Softon
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le 14 mai 2014

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Kévin List

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