Tati disait : "Le cinéma, c'est un stylo, du papier, et des heures à observer le monde et les gens". Une citation qui pourra faire sourire, autant pour le français à son origine que pour nos frères américains, ces cinéastes partageant un goût pour une mise en scène jusqu'au-boutiste, laissant penser que si exercice de style il y a, alors empathie ne peut exister. Pourtant, impossible à la vision de Good Time de ne pas imaginer les frères Safdie, papier et stylo en main, déambuler dans les rues de New-York, à la recherche de ce qui relie tous ces destins aussi similaires qu'inintéressant de loin, mais à y voir de plus près tout à fait passionnants car universels.


Il y aurait d'abord ça, une opposition entre le petit et le grand, entre l'individu et le collectif, entre subjectif et objectif. C'est probablement sur ce point qu'on peut le mieux rapprocher les Safdie du Nouvel Hollywood (Scorsese en tête) et sa manière d'aborder des conflits trop existentiels pour ses conséquences aussi concrètes. Et puisque le cinéma est l'art de proposer une vision du monde, la seule responsabilité du cinéaste deviendrait de présenter ces conflits de manière aussi brute que possible, tout en respectant la vision du monde de leur personnage.


Cette vision, la mise en scène des New-Yorkais l'exprime bien : Connie (Robert Pattinson) est poursuivi, en constante asphyxie face au terrible pouvoir de l'univers de toujours nous tirer le tapis sous les pieds alors que l'on pensait arriver au but (ce scénario qui n'offre de répit que de courts moments de satisfaction, toujours coupés courts par une nouvelle perturbation). Une mise en scène qui prouve une vision forte développée à force de grattage de papier avec son stylo en regardant le monde et les gens, car si d'habitude cette asphyxie est présentée avec un premier degré un peu trop simple, ici elle est au moins autant le résultat d'un monde qui en voudrait à celui dont les intentions sont pures, que celui d'un personnage qui ne s'identifie qu'en s'opposant à sa propre éthique afin de faire face à une responsabilité plus ou moins imaginaire de devoir s'occuper de son frère handicapé.


Largement de quoi étouffer donc. Connie se trouve une responsabilité pour ne pas faire partie de la masse qu'il considère comme des assistés, quitte à faire le mal autour de lui (toutes les âmes errantes du film finiront perdantes en croisant sa route), et même jusqu'à blesser l'objet de sa responsabilité. Good Time rentre donc dans la case de ces grands films où les conséquences des actes se lit au scénario, mais la cause de ces actes se voit surtout à l'écran.


D'autant plus que l'asphyxie de la mise en scène peut également être perçue comme euphorisante : le film ne cesse jamais son rythme infernal, les lumières sont aussi agressives qu'hypnotisantes, et la musique affirme définitivement cette idée d'euphorie artificielle. Pas étonnant donc que le climax se joue sur une bouteille d'acide, car dans Good Time, il s'agit avant tout de s'échapper (les nombreuses courses poursuites), et fatalement d'échapper à une existence trop difficile par tous les moyens possibles, et tant pis si ces moyens nous précipitent dans notre perte. "The light doesn't work here. We use TV", dit cette vieille dame dans une plainte qui aurait oublié son désespoir à force d'hypnose télévisuelle.


Connie sera le seul personnage ne consommant aucun de ces moyens d'échapper à la réalité (drogues, télévision, téléphone portable...). Son moyen à lui d'échapper serait donc probablement cette responsabilité qu'il s'impose à lui-même. Et si cette idée demanderait à ce que son arrestation en fin de film soit traitée comme une tragédie, le film en fait un moment libérateur prenant le spectateur à contrepied afin de le placer au plus près de la perception du personnage : la musique se fait enfin reposante, les barreaux qui enferment Connie se font de plus en plus invisibles à mesure que la caméra zoome sur son visage, et enfin laisser place à Nick (Benny Safdie) et son acceptation dans une communauté.


En bref, du divertissement pour oublier nos souffrances, être toujours poursuivi pour se donner un rôle, et enfin être rattrapé par nos peurs pour s'en libérer. De quoi se donner envie de prendre un papier et un stylo pour ne pas voir le monde à travers une mise en scène trop confinée.

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le 30 nov. 2020

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