Revoir Gravity (en salles attention!) quelques mois après sa sortie et les débats qu'il a suscités. Qu'en reste-t-il? Retrouve-t-on l'expérience de cinéma vécue en octobre dernier? Les (grandes) qualités perçues alors tiennent-elles lors d'un deuxième visionnage en salles (sans compter celui sur son lecteur de salon)? Les réserves qui avaient pu être énoncées persistent-elles ou s'atténuent-elles?
Revenons tout d'abord sur les critiques les plus répandues à la sortie du film :
1) Oui, il faut le dire encore : Gravity n'est pas 2001! Cuaròn n'est pas Kubrick et la métaphysique n'est pas son sujet! Et c'est tant mieux! Laissons 2001 là ou il est, sa place est suffisamment haute au panthéon du cinéma pour ne pas comparer tout film de science-fiction avec lui, juste dans l'objectif de rehausser un peu plus sa valeur. Les fans hardcore de Kubrick n'en font-ils pas un peu trop parfois... Si l'on revient sur le film d'Alfonso Cuaron, il s'agit en effet d'un film très physique, et travaillant la sensation plus que la réflexion.
2) Le scénario pourrait tenir sur un timbre poste. Pas faux non plus, bien sûr. Mais faut-il rappeler que le cinéma est avant tout une histoire de mise en scène. Que son objet est l'enregistrement, la constitution et l'agencement d'images animées et non l'illustration plate d'un scénario. A moins de considérer que Le discours d'un Roi est un meilleur film qu'Elephant, mais bon, dans ce cas, que dire de plus.
3) Gravity ne serait qu'un vulgaire survival. Et alors? Les Chasses du Comte Zaroff, Delivrance et Massacre à la tronçonneuse ne sont pas des grands films?
Le plus dérangeant dans Gravity apparaît dans ces dernières minutes : une musique envahissante, type world music dans la séquence finale et des dialogues non seulement inutiles mais assez ineptes. Bien sûr, si Cuaròn avait osé laisser mourir son héroïne, on n'était pas loin du chef d'œuvre. On évitait alors la musique pseudo-primitive mais spirituelle (et donc forcément d'inspiration africaine) et des lignes de dialogue pas loin du niaiseux. On évitait également le retour de Clooney sous forme d'hallucination: séquence plutôt drôle mais qui, si l'on est dans un mauvais jour, sent un peu l'optimisation du salaire de l'acteur.
Mais, à part ça, Gravity garde sa capacité à couper le souffle, à renverser, à mettre sens dessus-dessous. C'est effectivement un cinéma des sensations auquel nous convie Cuaròn comme pouvait l'être le cinéma des attractions que proposait Méliès. Il questionne ainsi les modalités d'appréhension des images qui ont perdu leur cadre mais où le champ et le contre-champ s'intervertissent, bousculant la représentation spatiale du spectateur. Les "panoramiques circulaires", si l'on peut les dénommer ainsi, rendent impossible de prévoir à quoi va ressembler ce fameux hors-champ qui bouscule le champ. Si le hors-champ ne saurait se confondre avec le hors-cadre, ici, il est par définition irreprésentable dans son intégralité puisqu'il recouvre l'ensemble de la galaxie. Cuaròn rejoue ici encore la carte du plan-séquence et, tout comme dans Les Fils de L'Homme, c'est à la fois pertinent pour immerger le spectateur dans le film et tout simplement stupéfiant de mise en scène. Les plans-séquences du film d'Alfonso Cuaròn permettent par leur très grande mobilité de lutter d'un point de vue filmique contre les contraintes du monde physique: ces plan-séquence ne sont pas seulement des prouesses techniques mais surtout un moyen de faire éprouver au spectateur la sensation d'apesanteur, de dérive, a priori inconnu à la plupart d'entre nous. Ainsi, quoi que l'on pense du plan final, il se révèle particulièrement pertinent et cohérent avec l'ensemble du film par la verticalité qu'il rend à son personnage (les pieds qui s'ancrent sur surface plane) mais aussi à l'image cinématographique.
A défaut d'être un chef d'œuvre, Gravity reste néanmoins un film charnière dans l'histoire récente du cinéma tant d'un point de vue des possibilités de représentation et de réalisation rendues possibles par les effets spéciaux numériques que par la revendication d'une sensorialité d'un cinéma des attractions retrouvé.
Adam_Kesher
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le 2 juil. 2014

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