Ne pas penser à Plein Soleil. Ne pas penser au Talentueux Monsieur Ripley de Minghella. Ne pas penser à d’autres adaptations de romans de Patricia Highsmith. Surtout ne pas penser à Hitchcock. Oui, mais voilà, Hossein Amini semble décidé à contrarier toutes nos bonnes intentions.

En effet, il est impossible de ne pas penser au film de René Clément ou celui de Minghella : la Grèce rappelle l'Italie; le bon vieux couple attraction-répulsion est convoqué et lorgne du côté de la relation Ripley/Greenleaf. La musique elle-même place le film sous les auspices hitchockiens avec ses violons à la Bernard Hermann. The Two Faces of January apparaît saturé de citations et de références mais semble ne pas savoir trop quoi en faire (ni réappropriation des codes d'un genre à la Tarantino, ni geste maniériste à la De Palma) : Amini choisit donc la voie d'un classicisme suranné au charme pas désagréable mais un peu vain. The Two Faces of January possède néanmoins une petite élégance grâce à ses acteurs (mention spéciale à Oscar Isaac et, évidemment, à Viggo Mortensen) et surtout au travail du chef opérateur qui réussit une très belle photo dans les scènes de jour, écrasées par le soleil méditerranéen, comme dans celles de nuit.

Malgré ces deux qualités, le film provoque non pas l'ennui mais plutôt un vague sentiment de désintérêt : le traitement des personnages et des liens qui les unissent, ainsi que le développement de l'intrigue, se révèlent peu convaincants car artificiels. Ainsi, Amini peine à donner corps à l'obsession de Rydal, le jeune américain exilé en Grèce en rupture avec son père, pour Chester, le séduisant escroc en fuite, en qui il voudrait reconnaitre son père. Le déplacement de cette obsession vers Colette, la femme de Chester, semble précipité et factice car sans réelle justification. De même, la complicité perverse du couple américain esquissée dans la scène du café au début du film est par la suite complétement oubliée, laissée en à l'état. Plus loin, la jalousie du mari se manifeste soudainement, sans prévenir, non pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais bien comme l'artifice d'un scénario mal articulé. Pour tenter de crédibiliser ses personnages, le réalisateur use d'un psychologisme appuyé mais creux : la métaphore paternelle, au sens psychanalytique, le complexe œdipien sont lourdement convoqués. Amini voudrait nous faire éprouver la recherche par Rydal d’une figure paternelle positive à laquelle il pourrait s'identifier : le trajet psychologique que l'on devine pour ce personnage est la fuite d'une figure paternelle austère, exigeant, surmoïque vers l'identification à un père séducteur qui autoriserait la transgression (la relation à la mère?). Ce père se révèle en réalité décevant car incapable d'incarner cette fameuse métaphore paternelle. L'impuissance du réalisateur à illustrer par sa mise en scène les mouvements affectifs et pulsionnels, ainsi que la problématique consciente et inconsciente de ses personnages, le pousse à multiplier les détours par la mythologie grecque sans en tirer des éléments qui permettraient au scénario de gagner en profondeur. Le parallèle avec le mythe de Thésée est constamment souligné tout au long du film : le récit du mythe par le jeune américain à des touristes américaines; la visite du labyrinthe de Knossos où un meurtre aura lieu; les rues dédalesques d'Héraklion et d'Istanbul; les couloirs d'aéroport. Il semble impossible pour le réalisateur de mettre en scène la complexité qu'il prétend insuffler à ses personnages : point de labyrinthe mental ici mais une surcharge d'images labyrinthiques réelles, censément signifiantes, et qui finalement au détriment de la crédibilité des personnages. Amini se situe définitivement du côté du représentatif, loin, très loin, du symbolique. On peut par moment s'amuser à relever des références au mythe de Thésée (les cigarettes noires opposées aux cigarettes blanches en rime avec les voiles banches et les voiles du navire de Thésée) mais comme elles sont peu, ou mal, exploitées, ceci ne dépasse jamais le stade de l’anecdotique.

L'ironie du sort, mis en exergue par notre jeune guide dans la première séquence du film (à travers le récit du suicide d’Égée alors que Thésée rentre victorieux à Athènes) et qui devrait irriguer le dénouement de l'intrigue, comme tout manuel de scénario pour débutants le conseillerait, flotte mollement au fur et à mesure des scènes qui se succèdent sans trouver un réel ancrage dans le destin des personnages.

The Two Faces of January, à l'inverse de son titre qui augure d'une duplicité et d'une ambiguïté ne se révèle jamais troublant et apparaît plutôt comme un film ni-ni : ni bon ni mauvais; ni passionnant ni ennuyeux; ni enthousiasmant ni irritant. Élégant mais vain. Le titre du film fait référence à Janus, dieu romain représenté avec deux visages : l'un tourné vers le passé l'autre vers l'avenir. Si cette image peut a minima s'adapter aux personnages, le film, à l'inverse, s’inscrit en faux : résolument tourné vers le passé du cinéma, et si peu vers son avenir, il peine même, en réalité, à s’inscrire dans l'actualité de celui-ci.
Adam_Kesher
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le 30 juin 2014

Modifiée

le 2 juil. 2014

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