Musical, drôle et touchant, le film d’ouverture du quatorzième ZFF s’est révélé être la douce friandise de ce début de festival. Précédé d’une excellente réputation à Toronto (où il a reçu le People’s Choice Award de la part du public), le long-métrage de Peter Farrelly – papa de Mary à Tout Prix et autres Dumb & Dumber – est avant tout incarné par un extraordinaire duo d’acteurs composé de Viggo Mortensen et Mahershala Ali. Les deux hommes rivalisent d’intensité, de charisme et de présence dans ce savoureux road trip mêlant avec brio éléments comiques et situations foncièrement dramatiques, imposées par une thématique traitée avec recul et second degré.
Green Book retrace la rencontre tumultueuse entre Tony Lip, brute ritale des fonds du Bronx à la diction hilarante, habitué aux postes de videur de clubs véreux, et le roi du piano Dr Don Shirley, génie musical noir, le long d’une tournée traversant le Sud du pays sur fond de ségrégation raciale. Le titre du film fait d’ailleurs référence à l’annuaire des hôtels qui admettaient les gens de couleur dans les années 60 aux USA. Surprise sur la forme: le résultat se veut léger, et la salle éclate de rire toutes les cinq minutes, tant la confrontation des deux egos offre son lot de décalages savoureux (la scène du poulet frit au KFC…).
Sur le fond en revanche, la profondeur du personnage incarné par Mahershala Ali permet d’équilibrer la traversée, au gré d’un malaise dont la nuance exhume le message de l’ensemble. "So if I’m not black enough and if I’m not white enough, then tell me, Tony, what am I?". Don Shirley a beau être reconnu, riche et magnifiquement vêtu, il n’est plus “un Noir” pour ses confrères, et ne sera jamais “un Blanc” pour ceux qui paient une fortune pour le recevoir en concert, et ce malgré le talent, les contrats juteux, la réussite ou l’entreprise, les “amoureux de sa musique” allant jusqu’à lui refuser l’accès à leurs toilettes. En face, Tony Lip; un homme intègre, entier, sans faux semblants ni artifices, heureux de peu, et surtout du nécessaire, peu soucieux des apparences et des statuts de classe ou de race.
Au final, une belle leçon d’amitié aux contours cheesy mais remplie d’amour, contemplant avec sourire les peurs qui nous séparent et nous éloignent, comme pour mieux leur tordre le cou. Évidemment taillé pour le Christmas Time, Green Book est tout proche du plaisir familial, avec pour les plus jeunes une piqûre de rappel bienveillante, et pour les autres l’occasion d’applaudir deux immenses comédiens ici au sommet de leur jeu pour un match made in heaven, sans l’ambition de changer l’histoire du cinéma. Tout ça fait du bien, au fond. Comme une maison au coucher, remplie de gens heureux.
— vu au ZFF 2018 | article complet disponible sur TheBergerie.net —