Sans doute la 38563ème oeuvre sur le racisme, cette nouvelle tentative brille par sa manière légère d'aborder de lourdes thématiques logiquement amenées par un livre - ce fameux Negro Traveler's Green Book - qui fut un guide de voyage utilisé de 1936 à 1966 dans le Sud des USA pour indiquer aux Noirs quels motels et restaurants ils étaient autorisés à fréquenter (non, ceci n'est pas une blague).


Notre histoire (inspirée de faits réels) prend donc place en 1962. Tony Villalonga (Viggo Mortensen), un attachant videur de boîte de nuit, casse-cou à l'appétit démesuré, frappe sur le mauvais bougre et se retrouve du soir au lendemain...sans emploi.
Pour assurer la stabilité de sa famille, il se voit contraint d'accepter un boulot de chauffeur, loin de sa femme et ses deux enfants pendant plusieurs mois.


En outre, il n'imaginait pas devoir sillonner le Sud des Etats-Unis avec un passager de renom en tournée: le grand pianiste Don Shirley (Mahershala Ali).
Celui-ci est tout ce que Tony n'est pas: bien éduqué, sophistiqué, méticuleux et...Noir.
Or, Tony a beau être un bon gars, il a en lui quelques préjugés racistes sortis de son Bronx profond au sujet des Afro-américains.


Tout cela va bien entendu changer.


Dans ce Miss Daisy et son Chauffeur inversé, la partition du réalisateur est entraînante, glissant à la surface d'enjeux complexes pour de temps à autres y plonger suffisamment afin de nous en laisser toucher la substance émotionnelle sans s'y noyer. Une réussite évidemment due en grande partie à son duo d'acteurs principaux.
Mortensen et Ali s'effacent totalement derrière leur personnage pour livrer une performance d'une justesse éblouissante; l'un nous gratifie d'une étonnante prise de poids et d'un accent italo-américain des plus crédibles, l'autre y confronte son charisme et sa parfaite diction pour créer cette improbable alchimie digne des meilleurs buddy-road trip movies, où chacun apprend et change au contact de l'autre.


Ce duo est un pur régal à suivre du début à la fin, tant dans son humour imparable que dans sa vulnérabilité; leurs différends sont aussi hilarants que leurs failles sont touchantes.
Les deux gaillards apprennent à se connaître autant qu'ils jouent avec leurs nerfs respectifs.
Et si certains moments sont prévisibles (Tony n'est pas doué avec la prose donc, ô surprise, Don Shirley va l'aider bon gré mal gré à écrire les lettres destinées à son épouse), quelques détails dans l'exécution globale offrent de bonnes surprises.


On pense surtout aux puissantes prestations du pianiste virtuose qui sont au diapason avec la dynamique de leur amitié naissante, presque autant que leurs dialogues d'ailleurs.
Une évolution, ou même transformation, musicale particulièrement prégnante lors du dernier show de leur tournée, où plusieurs idées du long-métrage tournant autour de l'ethnicité et de l'identité trouvent une plaisante conclusion.


Et même si la polémique enfla autour de la véracité des faits, lissée pour offrir un final léger, digne d'un film de Noël à la Frank Capra. Même si on aurait aimé que la mise en scène soit aussi virtuose que le pianiste dont il est question (aucun plan ne marquera durablement vos rétines), vous pourriez vous surprendre à avoir à la fois un grand sourire aux lèvres ET la gorge nouée.
Car Green Book nous rappelle tendrement que l'on peut rire de tout, sans nous faire complètement oublier que l'Homme demeure cet étrange animal capable du pire.


Conseillé: A ceux qui veulent se délecter d'un film drôle, touchant, avec du fond.


Déconseillé: A ceux qui voudraient que le Negro Traveler's Green Book existe encore.


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christophe1986
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le 3 nov. 2019

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christophe1986

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