Cette critique a failli s'intituler "Bradley Cooper, do me !". J'ai passé tout le film fasciné par cet acteur, que je connaissais peu, surtout de réputation, et que je trouvais certes beau mais sans plus. Ce film est un piédestal offert à sa beauté et à son talent. L'air subtilement ahuri, parfois même franchement idiot, il a la beauté et le charme francs de ces hommes ordinaires dont le physique n'est pas sans défauts mais qui dégagent une aura irrésistible. Sa maladresse et son inadaptation à la société évoquent un Cary Grant chez Hawkes par exemple - et c'est là un singulier compliment. Il ne démérite pas du tout sa nomination aux Oscars, en face des favoris Phoenix ou Day Lewis.

Ceci étant dit, parlons du film. Il m'a beaucoup fait penser à un autre film sorti l'an dernier à peu près à la même époque, Another Happy Day, que j'avais beaucoup aimé, mais que tous mes amis avaient unanimement détesté. Pourtant dans les deux cas on retrouve un sens du travail bien fait, une efficacité toute hollywoodienne dans la caractérisation des personnages (qui est ici certes plus subtile que dans AHD), dans la progression du récit. Le film a le charme - et les marqueurs - d'un certain cinéma indépendant américain : étude de moeurs douce-amère voire carrément cynique, casting de vieilles gloires et de stars montantes, bande-son ultra soignée.

Et là, amis mélomanes, autant vous dire que vous serez gâtés. Première éjaculation auditive avec "What is and What Should Never Be", un titre de Led Zeppelin issu de leur deuxième album, dont la présence au cinéma est aussi étonnante que rare, et ici gérée avec brio. La chanson est utilisée quasi en totalité pour une séquence dantesque d'hystérie et de folie nocturne. Elle démarre sur la fin foireuse d'une rencontre entre les deux personnages centraux du film (rappelons que cette chanson à des sous-entendus pédérastes - voire pédophiles), puis le montage et le volume sonore s'adapte aux fluctuations et à la construction très alternée du morceau, avant de couper brutalement, pendant le solo, lors du climax de la séquence. Assez impressionnant. Plus tard vous entendrez Shivaree et son "Goodnight Moon" ainsi que deux titres absolument jouissifs des White Stripes, "Hello Operator" (et son fameux "solo" de batterie) ainsi que "Fell in Love With a Girl", qui déboule au moment le moins prévisible du film. Côté dialogues, on notera une jouissive séquence de playlist Ipod et quelques mentions hilarantes à Metallica et Megadeth.

Ces mêmes dialogues sont tout à la fois la force principale et la limite du film. Flot quasi ininterrompu de dialogues délivrés avec une vitesse de débit ou une inflexion travaillée de la voix par tous les comédiens (des deux instables qui dominent le récit à leurs proches), souvent très ciselés et drôles, lourds de sens et de réflexions plus cyniques sur la société américaine et ses névroses, ils font souvent mouche mais finissent par littéralement assommer le spectateur sous la logorrhée incessante de la continuité dialoguée. Le personnage de Bradley Cooper est ainsi tout à la fois immédiatement sympathique malgré ses évidents défauts, et un peu soûlant une fois que l'on a compris le principe moteur qui le caractérise. Si De Niro excelle en père grincheux tout aussi fou que son fils, Jacki Weaver me convainc bien moins que dans Animal Kindgom.

Côté mise en scène on observera un goût certains pour les panoramiques et les rotations autour de personnages, pour les plans rapprochés et mobiles, et d'une manière générale pour la caméra à l'épaule. Des choix justifiés et parfois particulièrement intéressants. Un très joli plan long accompagne Jennifer Lawrence vers son verre de vodka dans la grande séquence du concours de danse, mais le 360° autour des amoureux enlacés est par trop conventionnel.

Sur le fil de l'hystérie et du grotesque, le film esquive sans cesse par l'humour ou l'émotion et compense quelques trop pleins par des moments de respiration bienvenus. Toutefois, c'est dans son analyse sans pitié (façon Sam Mendes en moins subtil) des névroses contemporaines des Etats Unis que le film séduit le plus. Le fils est fou et ne se contrôle pas où peu, son amie n'est guère mieux, le flic fait du zèle, le père zinzin croit à son "ju-ju", la mère est docile est soumise, comme coincée dans le passé, etc. Le film l'emporte à l'arraché et à l'énergie, il déborde de trop plein d'idées et de pistes mais est mené avec un enthousiasme communicatif et par une prestation épatante de mister Cooper.

Epilogue : le beau Bradley passe d'ailleurs une bonne partie du film dans un immonde jogging gris ou enveloppé d'un sac poubelle le rendant parfaitement ridicule. Et pourtant son charme opère, toujours. Son sourire un peu ahuri, ses yeux bleus, ses cheveux courts, la séquence dansée et son porté à crever de rire...

DO ME BRAD, ANYTIME, ANYHOW, ANYWHERE.

Au moins c'est dit.
Krokodebil
7
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le 30 janv. 2013

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Krokodebil

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