"Laissez vous surprendre" nous conseille Haneke !!!
C'est ce qui m'est arrivé en 1997, pour la première fois, le jour où j'ai pénétré dans la salle de cinéma qui projetait Funny Games et sur la porte de laquelle était affiché : "Le choc de Cannes" … je n'avais rien lu sur le film et ne connaissais pas Haneke, vierge de toute influence... des spectateurs quittaient la salle (!)... moi, j'en suis ressortie totalement secouée, et admirative de la perfection corrosive de cette œuvre, de la maîtrise absolue des sensations du spectateur et de la façon de traiter le sujet de la violence, sans rien montrer de vraiment horrible...
Il se trouve que dans la même semaine, on projetait dans ce même cinéma, sa diabolique trilogie que je ne conseille pas vraiment aux dépressifs chroniques... quoique ! (le septième continent, 71 fragments d'une chronologie du hasard et Benny's Video), j'ai courageusement égrené ces films, comme les boules d'un chapelet, avec la même tension et la même fascination ... "le caillou", dont parle Lars Van Trier, "dans la chaussure" !!!


Ce sont les graines de réflexion qu'il sème dans l'esprit du spectateur, qui se développent et qui persistent, longtemps après la projection... qui rendent ce cinéma singulier et complexe, si intéressant.


J'ai entendu, récemment, dans une émission de radio, une phrase très lumineuse, à ce propos: " Haneke nous met au bord d'un gouffre, nous obligeant, soit à l'affronter, soit à fuir ": je suis de celles qui l'affronte... comme dans la vie...


Dans Happy End, Haneke explore, avec une belle acuité, les personnages d'une famille bourgeoise installée dans une propriété cossue, à l'ambiance glacée, dans les Hauts de France ... nous cotoyons essentiellement le patriarche Georges (Jean-Loulou Trintignant), ses deux enfants : Anne (Isabelle Huppert) qui dirige l'entreprise de BTP familiale et Thomas (Mathieu Kassovitz) chef d'un service de chirurgie à Lille, Pierre le fils d'Anne, qui la seconde maladroitement dans la tâche de direction et surtout Eve (l'incroyable et épatante Fantine Harduin) la fille de Thomas, personnage complexe et prisonnière de cet univers peu accueillant, comme son cobaye dans sa cage.... Il y a aussi matière à réflexion sur les personnages secondaires, qui servent à mettre en évidence, la mentalité de classe.


L'intrigue est minimaliste et on entre dans la vie de cette famille, par l'iphone d'Eve, substitut épisodique de la caméra... qui filme la mère dans la salle de bain, en train de se préparer pour la nuit...puis l'empoisonnement abouti de son cobaye et sans aucun doute, après l'expérience concluante, celui de cette mère qui, apparemment, ne se regarde que le nombril … l'empoisonnement est délicatement sous-entendu, et habilement suggéré en hors champ... Cette séquence est d'une efficacité nouvelle : on est vraiment dans la tête d'Eve, et on décode immédiatement par son langage style texto, la personnalité égocentrique de cette maman et le mal-être de cette petite fille mal aimée...
En la suivant, on va faire connaissance du reste de la famille :



  • Anne, sa tante, bourgeoise lisse, aux comportements bien convenus et qui va, même dans les situations les plus déstabilisantes, trouver les bonnes formules, les bons discours, pour remettre tout en ordre, et se sortir très habilement du ridicule et de la honte.


  • Thomas, le papa... apparemment affable, mais handicapé de l'affect ..s'adressant à sa fille comme à une de ses patientes, dans un langage poli mais terriblement froid...et je repense au poème de Rimbaud, qui colle exactement à cette relation : "Il s'en allait satisfait et très fier, sans voir,
    dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences , l'âme de son enfant livrée aux répugnances."


  • Le grand-père, Georges, le personnage le plus intéressant, fatigué de la vie et de son milieu, économe de ses mots, mais terriblement explicite sur son envie récurrente de se suicider... Il trouvera en Eve, une complicité aussi discrète que profonde et indicible, dans une scène-clé terriblement émouvante, jouée par ces deux acteurs de manière éblouissante...un grand moment du film avec la scène de fin , que... NON, je ne vous raconterai pas...



Maestro Haneke nous laisse, comme à son habitude...et plus que d'habitude, approfondir les "caractères" (au sens de La Bruyère) et les situations...
J'ai vu deux fois la film : une première fois pour me laisser surprendre et une deuxième fois, pour combler les détails, qui m'avaient échappé et en tirer la substantifique moelle.
c'est comme çà qu'il faut appréhender ce sorcier du cinéma !


La scène finale est grandiose, géniale, infiniment bleue...immersive et vous laisse l'entière liberté de trouver vous même, une issue heureuse à cette fable piquante, amère et... ironique aussi...
Pauvre Jean-Loulou, j'espère qu'il aura pu éviter la fluxion de poitrine !!!

Juliette-Cinoche
10

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le 9 oct. 2017

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