Dans le Japon féodal de l’ère d’Edo (1630) le changement se fait jour. Les guerres sont terminées et la paix semble s'installer, laissant la plupart des samouraïs sans maître. Le shogunat surveille étroitement les clans et en dissout la majorité pour asseoir son pouvoir. Devenus ronins, la déchéance les guette. Nombre d’entre eux vagabondent et usent de subterfuge auprès de seigneurs, exerçant le chantage au seppuku, espérant ainsi les attendrir et recevoir quelques pièces à leur survie.
Tsugumo (Tatsuya Nakadai) ancien vassal dans son palais a été mis au ban, et avec lui 12 000 de ses employés….Il aura le choix de se reconvertir ou de se suicider pour éviter le déshonneur d’une vie de misère. Après 16 années de vie auprès de sa famille, vivotant de l’artisanat, Tsugumo vient demander au seigneur du clan Li d'exercer son droit au suicide. Mais Saito (Rentaro Mikuni) l’intendant du clan ne l’entend pas ainsi. Et Tsugumo insiste. Il demandera l’assistance d’un maître d'armes, habile au sabre, pour la décapitation finale…Mais ceux qu’il aura choisis, les uns après les autres, sont tous absents. Ceux là mêmes qui étaient présents lors d'un suicide « obligé » particulièrement sadique…qui permettra d’introduire la raison de la venue deTsugumo et de comprendre au fil du récit toute la colère de l’homme. L’assistance, dans l’attente d'un maître d'arme, se doit d’écouter l’histoire du ronin avant que celui-ci ne se décide enfin à mourir.
Deux récits ponctuent l’intrigue et nous permettent de saisir dès le départ les motivations de l’intendant qui tentera de dissuader Tsugumo en lui contant l’histoire d’un ronin, venu précédemment faire la même requête, Motomé Chijiwa, (Akira Ishihama) et pris de faiblesse à l’instant fatidique..et celui de Tsugumo, entrecoupé par des flashback sur sa vie passée, qui par divers chemins de traverses fera la charge implacable contre le système en place. Une remise en cause de la société, de la hiérarchie et des règles même de l’honneur, où toute l’assemblée se fera le témoin du désastre.
Le cinéaste propose un récit croisé permettant d’avancer dans l’intrigue avec une rigueur et un sens du suspense particulièrement réussi. Batailles du verbe radicales, à défaut de combat, récit particulièrement lent, la narration dialoguée renvoie au théâtre, appuyée par le jeux des acteurs et des regards, où la musique traditionnelle japonaise accompagne une caméra qui en saisi les moindres tressaillements. L’utilisation de zooms et autres travellings nombreux permet de rythmer et d’adoucir les décors épurés, définitivement carrés et rigoristes.
Un bel exemple notamment dans l'affrontement permettant de précipiter l’intrigue vers sa résolution...laissant les dialogues en suspens, pour un des plus beaux moments du films. Hors du temps, hors cadre, où le vent vient accompagner les mouvements gracieux des deux combattants, Tsugumo et l’un des maîtres d’armes.
Huis clos où l’enfermement des lieux vient en miroir à celui des hommes. Le harakiri lui-même, sera constamment réexpliqué signifiant ainsi son côté déjà dépassé, un sens de l’honneur qui n’a plus cours. Les trois maîtres d’armes, déshonorés, se font porter malades plutôt que d’effectuer le rite, Motomé lui-même entendra la procédure comme s'il l’avait déjà oubliée et le combat final se fera à l’aide d’armes à feu…
Saito écoutant Tsugumo voit sa propre fin se dessiner, et l’hypocrisie du clan dévoilée. Pour éviter le déshonneur il condamnera Tsugumo à mort. La violence contenue jusqu'alors explose lors de la bataille finale et viendra clore cette magistrale tragédie. Et pour terminer, la réponse officieuse de l’intendant, auprès des hautes instances, pessimiste, confirme la noirceur du récit et occultera définitivement le combat de l’homme contre le pouvoir dictatorial.
Masaki Kobayashi critique la société et met ainsi en lumière le questionnement de la confiance envers les dirigeants et les traditions et s’ancre parfaitement dans la modernité.
Une réussite.
A voir en VO (...st) bien sûr.