Récompensé par le prix du jury de la section Un certain regard au dernier festival de Cannes, ce film japonais doit en effet son intérêt à un certain regard, ou plus exactement un certain point de vue de son auteur sur un drame familial somme toute assez peu extraordinaire.


Certes, chaque point de vue est particulier, mais Kôji Fukada réunit dans Harmonium un film du quotidien qui pourrait faire penser à Ozu, ou à Kiyoshi Kurosawa (celui de Tokyo Sonata, plus précisément), et un film de genre comme pourrait faire dans une certaine mesure Hideo Nakata (Ring, Dark Water) ou encore… Kiyoshi Kurosawa (Kaïro ou Real et Shokuzai, récemment).


Installée dans un ronron tout ce qu’il y a de plus nippon, tout en silences et délicatesse, la famille de Toshio (Kanji Furutachi) voit son équilibre perturbée lorsqu’un jour, un ami du maître de maison, Monsieur Yakasa (Tadanobu Asano, vu récemment dans Vers l’autre rive, l’avant-dernier Kurosawa, encore lui !) fait irruption dans le cercle familial. Irruption est le mot, l’étranger apparaît devant l’atelier de Toshio, raide comme un piquet dans ses habits endimanchés et incroyablement immaculés, inquiétant déjà, trop propre pour être honnête. Yakasa sort d’une incarcération de dix ans, mais Toshio l’embauche, le présente à sa femme Akie (Mariko Tsutsui), et à sa fillette Hotaru (Momone Shinokawa), comme étant un ami de longue date. Yakasa dort et dîne avec la famille, et ses grosses lampées goulues et bruyantes au petit déjeuner contraste quelque peu avec le calme religieux habituel de la famille, et fait déjà entrevoir l’ogre qui semble sommeiller en lui…


La mise en scène du cinéaste est splendide, avec les images au cordeau de Kenishi Negishi, et précise, amenant de manière progressive des nuances dans le tableau initial en apparence si lisse. L’arrivée de M. Yakasa dessine en creux les manquements, les absences et les solitudes au sein de la famille, parmi le couple, et même avec l’enfant. Dans une des très belles scènes du film, par exemple, on aperçoit Horatu, la fillette, seule au parc. Sous la houlette, pour ne pas dire la pression, de sa mère, elle s’exerce continuellement sur l’harmonium familial pour une représentation dans leur communauté religieuse protestante (encore une image iconoclaste au royaume du shintoïsme). Les images montrent une passion de la fillette pour cet instrument, et pourtant dans la scène du parc, on s’aperçoit grâce à Monsieur Yakasa qui semble l’épier, qu’elle séchait son cours d’harmonium. A peine deux phrases ont été échangées entre eux, et beaucoup est dit, la souffrance de la petite, l’inattention des parents, la forte prégnance de Yakasa…Tout est à l’avenant, et l’attirance mutuelle qui semble rapprocher le visiteur et Aike, la maîtresse de maison, est là également pour traduire toutes les frustrations, tous les non-dits qui flottent dans cette maison…


Et c’est ainsi que le film finit par atteindre une sorte d’aqmé en son milieu, de trop de tensions accumulées. Un plus haut qui laisse personnages et spectateurs groggy, et qui débouche sur une longue ellipse dans le temps. Les cartes sont rebattues, et on ne peut nier qu’il y a un léger flottement dans le début de cette deuxième partie. Mais Kôji Fukada se ressaisit très vite, et de nouveau, le film retient toute notre attention. Frontalement plus sombre, et on comprendra vite pourquoi, le film aborde des rivages plus dangereux, et il n’y a qu’à écouter le cliquetis d’une pince à ongles dans un moment plus qu’inopportun pour se rendre compte que les personnages sont au bord de basculer dans une perte de contrôle assez terrifiante.


Il y a cependant de la douceur aussi dans cette deuxième partie, apportée par un personnage d’artiste, comme un prolongement de l’auteur lui-même, car ce personnage ne dit-il pas lorsqu’il dessine que « dessiner lui sert à changer sa vision du monde », soit ce certain regard dont il était question au début de cet article…


Parfois trop minimaliste pour susciter une véritable empathie avec les personnages, Harmonium n’en est pas moins émouvant par la beauté des images, par l’utilisation des couleurs, celles du Japon, le rouge de la fureur et le blanc du deuil et de l’apaisement ; émouvant aussi par la beauté d’un Tokyo privatisé, vidé de toute autre présence que celle des protagonistes, et émouvant encore par la beauté de la mise en scène de Kôji Fukada, une mise en scène qu’il revendique rohmérienne, notamment avec un récit dessiné au scalpel et des acteurs qu’il a su rendre généreux.


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Bea_Dls
8
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le 18 janv. 2017

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Bea Dls

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