Mon premier Ozu. Ozu. On parle de lui dans tous les bouquins sur le cinéma. Admiré par ses pairs, et reconnu sur le tard e occident. Sa vie, son œuvre, mais ce n’est pas le sujet. Herbes Flottantes c’est le remake du film du même nom, du même réalisateur, mais muet, et en noir et blanc, réalisé en 1934. Pourquoi en faire une version en couleurs, j’sais pas, seuls les puristes savent.  


 Entrer dans un Ozu, c’est entrer dans un autre temps, c’est aller dans un inconnu, c’est le dépaysement absolu. Un lieu où le temps semble s’être arrêté, dans le Japon profond, défriché entre le passé sans âge, et la carte postale ancienne. Une troupe de théâtre arrive dans un village de pêcheurs. On fait du batelage, on colle des affiches, on racole le public. Les comédiens semblent plus intéressés par la drague que le boulot, et passent plus leur temps à mater les nanas qu’à répéter leur texte. Simple. Ça a l’air tellement simple. Le petit village est un théâtre qui se découvre peu à peu. L’acteur principal et patron de la troupe, Komajuro, retrouve une ancienne conquête, et en profite pour revoir son fils caché, Kiyoshi. Par honte de son métier d’acteur, il s’est toujours fait passer pour un oncle éloigné. Voilà pourquoi la troupe fait chaque année un détour, par ce petit village perdu, loin de tout. Ça reste simple, mais pas que, ça s’enrichit petit à petit.


On est dans un vaudeville à la japonaise, je ne connais pas le terme exact, si il existe. Chaque plan, malgré son côté épuré est une fiche signalétique, et donne du sens. Rien n’est inutile, rein n’est superflu, et ce, même si on ne comprend pas toutes les subtilités. Jasujiro Ozu, ou l’éloge de la paresse, paresse non dénué de science, et d’humour. Le décor n’est pas un décor, mais un nid où se développe rapports de force, égos, lutte d’égos. L’actrice principale, maîtresse du chef, est jalouse de ce fils qui tombe du ciel, et envoie la fille de la troupe pour le séduire, par vengeance.


Simple, comme tout ce qui est compliqué. On ne sait plus si on est dans un mélo, ou une comédie. Et tout ça se déroule dans le cadre très rigide du tableau. Chaque plan, un tableau chargé en symboles. J’ai compris au bout d’un moment seulement, ce qui créait cette étrangeté, ce côté « jamais vu ». La caméra ne bouge jamais ( !) No travelling, no panoramique, no zoom, no gros plan. Tout est en caméra fixe, ce qui à mon sens est un exploit, vu que ça vit, ça bouge, et qu’on ne fait même pas attention, une fois qu’on est lancé. Hé !


Ozu ou l’économie de moyens. Dire beaucoup avec un bagage technique restreint, et contraignant. Pas besoin d’être bavard quand on a des choses à dire, les images parlent toutes seules ; qu’on se le dise. Bagarres psychologiques, chassé-croisé, rebondissements, qui prennent un autre sens que dans les mélos habituels. Curieusement, ça à l’air plus sérieux, ici. Peut-être parce que le but premier du cinéaste, n’est pas de faire rire, mais de donner sa vision du cinéma, et d’une époque. Une époque fantasmée sûrement, car trop de couleurs pastel pour être vrai. Et les couleurs avec le temps gardent ce côté transparent et sépia, comme une vielle peinture, de la gouache aquarellée, éloge du temps passé. Un nostalgique, que cet Ozu. Un nostalgique maître  du cadre. Et son film est une originalité. Le jeu de cache-cache entre oncle-père-fils-femme-maîtresse-autres acteurs de la  troupe, se termine par une révélation.


  Une fois tous les masques tombés, la troupe se sépare. Ce qui semble être un échec, est juste un nouveau départ. Pas vraiment de suspense chez Ozu. Il devait considérer ça très artificiel, je suppose. Retour à la normale.


 Contemplatif, même dans l’expression des élans du cœur exprimés avec passion parfois, mais sans emphase. La dispute entre Komajuro et sa favorite et maîtresse, par raccords et croisements interposés, chacun de son côté de la rue, à s’insulter, sous la pluie battante, ça fait son petit effet, un coup de cinéma. Entre simplicité apparente, (toujours), et force de frappe, découpe au montage. Parler de la tradition, avec l’outil de la modernité par excellence. Voilà l’autre cinéma, celui d’Ozu.

Angie_Eklespri
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le 26 févr. 2018

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Angie_Eklespri

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