Je suis la 17ième critique et personne n'a encore fait de jeu de mot avec "chouette".

C’est non sans douleur que j’attribue à Hibou une note aussi sévère. J’ai, en effet, beaucoup de tendresse pour Ramzy Bédia (ainsi que pour son habituel acolyte Eric Judor), dont l’humour naïf et enfantin frôle souvent une poétique absurde. Pourtant, dans Hibou, c’est précisément cet aspect-là qui, exploité seul et maladroitement, conduit à un résultat dépourvu tant de saveur que de sens.


On comprend très vite où le film veut nous emmener, et par quel langage : c’est la complainte d’un homme qui se sent invisible et par conséquent médiocre, et qui va chercher à provoquer la société normée qui le rejette en transposant au-dehors l’aberration qu’il a le sentiment d’être dans cet environnement où il ne trouve pas sa place. Dans une recherche désespérée de l’attention, il enfile un costume de hibou dans une – vaine – tentative d’obtenir l’attention qu’on lui refuse. Point de départ absurde, peut-être, mais qui fait parfaitement sens d’un point de vue émotionnel. Un moyen d’exorciser la banalité, la solitude, dans une revendication viscérale – la même qui me fait rêver, depuis longtemps, de débarquer dans mon open space avec un look visual kei. Porter au-dehors ce que l’on ressent au-dedans, pour forcer le reste du monde à le voir. Le mettre devant le fait accompli.


Partant de ce principe, simple mais pertinent, Hibou est une proposition devant laquelle je me présente avec bienveillance. J’ai bien conscience que je n’aurai pas affaire au film de l’année, ni même du mois, mais j’ai envie de l’accepter pour ce qu’il est et de prendre ce qu’il a à me donner sans prétention. Car avant tout, on sent le film sincère, porté par l’envie d’exprimer une amertume intime. Cependant, cela est peut-être même précisément là le problème : dans sa spontanéité, il ne s’embarrasse pas de règles dramaturgiques, qui certes sont faites pour être contournées, mais jamais totalement ignorées. Ainsi, si la réalisation est correcte, rythme, scénario et dialogues prennent bien vite l'allure de sables mouvants, prêts à engloutir le spectateur en même temps que toutes les bonnes idées du projet.


De bonnes idées, il y en a en effet, même si leur mise en œuvre est bien maladroite. Excessives, les scènes qui témoignent du sentiment d'invisibilité du personnage de Rocky font parfois grincer des dents, mais l'on s'y reconnaît pourtant concrètement. L’installation absurde d’un grand-duc dans son salon est l’occasion de gags prévisibles mais qui prêtent néanmoins à sourire, d’autant qu’elle nous offre quelques plans élégants sur le noble volatile. A ce stade du film, on a affaire à une histoire sympathique, pleine de sincérité plus que d’ambition, et si le tout est loin d’être parfait il y a encore beaucoup à sauver. Hélas, c’est au moment où le scénario s’enclenche vraiment que les véritables failles du film se manifestent, et dès lors il semble perdre toute structure, jusqu’à sa colonne vertébrale.


C’est en effet le manque de liant qui va, le premier, se montrer dommageable. Du hibou dans le salon au hibou par-dessus le corps, nous sommes séparés par une ellipse. Jusque-là, je ne reproche rien à ce procédé ; bien au contraire détailler la transition aurait été d’une lourdeur inutile. Seulement, ensuite, il y a l’apparition de Panda, tout aussi peu contextualisée. Certes, c’est après tout le mystère qui va tirer le héros au-devant de l’histoire. Le véritable problème, pour moi, se situe entre les deux : nous n’avons pas pris le temps d’apprivoiser ce nouvel état du personnage, devenu Hibou, que déjà une figure semblable apparaît. Ainsi rapprochés, ces deux événements sont comme banalisés, ou plutôt paraissent enchevêtrés dans un rapport de cause à conséquence, qui empêche d’en savourer le caractère interloquant. On voudrait alors y voir un sens caché, qui ne nous sera pourtant jamais livré.


Il n’est pas exclu que cela soit justement porteur de sens. Que, l’on veuille nous mettre face à la banalité de cette invisibilité, à laquelle Rocky est soudain rendu sensible à présent qu’il a décidé d’affronter ce monstre intime. Cependant, cela semble contradictoire avec la trame scénaristique générale, qui nous présente Panda comme l’unique, l’élue, l’âme sœur de notre personnage. Quelle chance, alors, d’être tombé si vite sur elle ! Et si c’était le changement d’attitude de Rocky qui lui avait permis d’ouvrir les yeux ? Alors nous aurions aimé voir ce changement plus en profondeur, avoir la chance de le constater, au-delà de l’aspect physique – et gaguesque – évident. Au lieu de cela, il semble qu’il n’y a pas eu d’évolution fondamentale chez le personnage qui, plutôt que de véritablement reprendre sa vie en main, se laisser porter par une série d’événements plus ou moins improbables et hasardeux.


En tête de ces événements, on notera une promotion professionnelle qui laisse un goût doux-amer, faute de savoir comment l’interpréter. Enclenchée par un malentendu, qui lance Rocky au-devant d’une initiative qu’il n’aurait jamais prise de lui-même, on se demande si elle vient récompenser la prise de confiance du personnage (bien qu’elle soit involontaire), ou simplement consacrer une nouvelle absurdité du système. Si l’on voudrait y voir un appel à s’affirmer, il est difficile de voir dans la subite obséquiosité des collègues de Rocky à son égard autre chose qu’un nouvel aveuglement, puisqu’ils ne le voient toujours pas pour qui il est mais pour ce qu’il représente : le succès plutôt que le hibou. Cela rend la victoire futile, superficielle, insatisfaisante, car elle ne semble en rien accompagner le personnage dans sa mutation ; au contraire, elle semble le renvoyer à une nouvelle forme d’indifférence, une invisibilité glorifiée.


Sans transition, je voudrais m’intéresser à un autre aspect du film qui pèche à mes yeux : l’écriture des dialogues, en particulier dans la romance avec Panda. Quelle étrangeté que ces échanges d’une banalité à toute épreuve, qui semblent tout droit sortis de la bouche du quotidien ! C’est, d’un certain côté, un tour de force, car ils rappellent les conversations les plus insignifiantes qui représentent l’essentiel de nos rapports humains. Tous ces moments sans répartie, sans piquant, d’une platitude qui nous déçoit nous-même alors que l’on voudrait paraître à chaque instant drôle et intelligent. En ce sens, ils semblent d’une sincérité et d’un naturel absolus. Seulement, je m’en rends alors compte, ce n’est point cela que j’ai envie d’entendre dans un film. J’ai envie de trouver aux mots un rythme, une dynamique, une dimension ludique : une artificialité nécessaire.


En fin de compte, on a l’impression d’observer des enfants s’amusant dans une cour de récré : jouant selon leurs propres règles, ignorants du reste du monde qui voudrait les juger. On sent que cela se vaut aussi bien d’un côté de la caméra que de l’autre. Ainsi, s’il est une chose dont il n’est pas permis de douter, c’est qu’il y a dans ce film beaucoup de tendresse et d’honnêteté. Seulement, était-il besoin de porter aux yeux du public ce qui apparaît comme une déclamation intimiste ? Il est certain que d’autres y trouveront leur compte et sauront se laisser toucher par cette sensibilité bien à part ; cependant, en tant qu’objet cinématographique, cela reste faible. Hibou n’a certes jamais eu l’ambition d’être un « grand film », mais j’eus espéré le voir déployer ses bonnes intentions dans moins de désordre. Quand le générique s’affiche enfin sur l’écran, il n’en reste hélas qu’un petit tas disparate.


Et puis le twist à la Fight Club, vraiment non, c’est plus possible en 2016.

Shania_Wolf
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le 6 juil. 2016

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Lila Gaius

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