On a bien du mal à s’imaginer que la même personne se trouve derrière l’ambiance dosée et maîtrisée de Sixième Sens ou Signes et la mise en scène facile et sans personnalité de Split. C’est que le film semble s’inscrire tout droit dans la lignée de ces films d’horreur calibrés pour une exploitation sans éclaboussures auprès d’une clientèle d’adolescents peu regardants, dans le genre de ce que l’on pourrait attendre en voyant la bande-annonce d’un Friend Request - mais qui du moins avait la décence d’annoncer sa nature d’emblée. Si Split est probablement de meilleure facture, il n’en reste pas moins insipide.


Il est vrai toutefois que M. Night Shyamalan fait ici l’effort de construire une atmosphère à l'intensité progressive plutôt que de verser dans les bassesses de la violence gore ou du jump scare, et essaie tant bien que mal de distiller une peur intelligente. Cette tentative d’instaurer une angoisse élaborée plutôt qu’une peur instinctive et vide de sens est louable, mais manque redoutablement d’efficacité faute de pouvoir se reposer sur une mise en scène tenant la route. Le résultat est par conséquent à peine moins bête et méchant que le film d’horreur moyen, et offrira un résultat très similaire au néanmoins bien plus original Pet, sorti confidentiellement il y a quelques mois.


Le défaut le plus frappant de Split, qui n’attendra pas même la minute pour se manifester, réside dans ses personnages extrêmement stéréotypés. Une poignée d’adolescentes américaines interchangeables parmi lesquelles l’habituelle mouton noir, qu’on pourrait croire tout droit sortie du Breakfast Club. En conséquence, face à la platitude des rôles à incarner, le jeu des acteurs a tendance à cruellement rappeler le spectacle de fin d’année d’un lycée. Même James McAvoy, dont on aurait pu espérer une performance réjouissante, n’est pas particulièrement brillant et nous livre dans la première partie du film un antagoniste presque plus risible qu’inquiétant.


Si malgré tout, le film progressant, on finit par ressentir une vague menace, les trois adolescentes prises au piège étant inintéressantes au possible il est bien difficile de s’émouvoir de leur destinée, aussi funeste s’annonce-t-elle. Ce problème d’empathie pour les victimes n’est certes pas gênant dans le slasher habituel où le spectateur recherche davantage une jouissance sadique que les frissons de l’angoisse, mais semble contradictoire avec la démarche du film qui repose plutôt sur une anticipation du mal à venir. En nous jetant ici la chair à canon habituelle, c’est plus l’attente d’une violence cathartique que Shyamalan semble aviver.


On sent pourtant qu’il y a une réelle volonté de créer une connexion avec les personnages, mais elle échoue lamentablement. Les arrangements musicaux nous dictent avec peu de discrétion ce que sont censés être les moments d’émotion, mais ceux-ci tombent tristement à plat du fait de leur artificialité. Quant aux flash-backs visant manifestement à nous aider à mieux compatir avec le personnage de Casey, ils semblent tout aussi vides de charge émotionnelle que le reste du film, cela étant largement dû à l’impeccable inexpressivité de l’actrice. Enfant comme adolescente, Casey donne immanquablement ce sentiment d’être posée quelque part sans comprendre.


Il faut dire que la mise en scène n’aide pas non plus les personnages à s’exprimer à l’écran. Les plans se succèdent sans originalité, au point de donner un aspect de film petit budget. Le plus crispant reste encore les réactions filmées de face, dans un délaiement de la révélation aussi paresseux que suranné, qui plutôt que de faire monter l’appréhension donnerait plutôt l’envie d’appuyer sur le bouton avance rapide pour passer plus vite sur ces platitudes de réalisation. Ajoutons à cela que l’angle de la caméra reste désespérément centré et à hauteur des personnages, et on comprend qu’il n’y a vraiment rien à se mettre sous l’œil.


En outre, si la forme relève de l’échec poli, le fond n’est guère plus glorieux. C’est que l’instrumentalisation du trouble dissociatif de l’identité à des fins d’épouvante n’a rien de neuf, et comme souvent il est traité avec si peu de finesse que cela frôle l’insulte. Cette approche devient plus acceptable alors que le film embrasse plus ouvertement une tangente fantastique, mais malgré tout on ne peut se défaire du sentiment que le personnage malade est traité comme une bête de cirque. Quant à la soi-disant fascination de la psychiatre pour les patients atteints de ce trouble, elle ne fait qu’ajouter au côté grand-guignolesque.


Un peu plus intéressante en termes de discours, c’est cette volonté de revanche sur l’univers qu’ont ceux qui ont souffert, qui se double d’un mépris pour ceux qui n’ont pas eu à se tordre et se durcir pour grandir au-delà de la douleur. Ce dédain primitif, qui découle d’un complexe rageur visant à s’auto-persuader que l’on n’a pas été amoindri par les épreuves, trouve un écho beaucoup plus concret dans nos poitrines, et eût peut-être été un argument scénaristique suffisant sans avoir besoin de recourir au couteau-suisse vulgaire que représentent aujourd’hui les personnages atteints de schizophrénie ou de trouble dissociatif de l’identité.


En somme, Split est constitué d’un amas de cliché qu’il ne parvient pas à transcender. Personnages jetables, mise en scène fastidieuse, idée de départ facile, ce cocktail paraît accablant de la part d’un réalisateur aussi rôdé que Shyamalan, alors qu’il y a quelques mois l’iranien Babak Anvari nous offrait avec Under the Shadow un premier long métrage horrifique infiniment plus original, élégant et surtout angoissant. Si Shyamalan avait lui aussi de sincères propositions il y a quinze ans, il semble avoir aujourd’hui épuisé son potentiel au point de devoir se rabattre sur des poncifs d’une autre époque et, pire encore, ne pas savoir les dynamiser.


Dernier Train pour Busan nous avait pourtant bien prouvé qu’il n’était pas nécessaire à la peur de se renouveler pour être efficace. Cependant Yeon Sang-ho, comme Babak Anvari, reste relativement jeune sur la scène cinématographique, et c’est peut-être ce regard frais qui manque désormais à M. Night Shyamalan – son goût de l’autoréférence semble d’ailleurs aller dans ce sens. Peut-être aussi le réalisateur se retrouve-t-il piégé dans une image qui limite aujourd’hui sa capacité à innover ? Il semble en tout cas que depuis une décennie, il se montre décevant sur sa carrière de façon consistante – et ce n’est pas avec Split qu’il amorcera une inversion de la courbe.


Serait-il temps de se détourner des vieilles icônes ?

Shania_Wolf
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le 19 févr. 2017

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Lila Gaius

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