Au point de collision entre les univers de Philip K Dick et de William S Burroughs, on trouve ceux de Ballard, étranges, habités d'une sensualité morbide excellemment capturée par Cronemberg dans Crash.
Difficile à définir, plutôt hermétique, le style de Ballard se plie difficilement à l'adaptation cinématographique, glacial, fétichiste, dystopique, narration oblique et dérobée, style souvent boursouflé de prétention mais porté par des fragment de poésie désespérée, une oeuvre portant en son sein les germes d'une destruction prophétique ralentie au point d'apparaitre figée, moments d'une tranquillité glacée arrachés à une inexorable apocalypse en devenir.


Bref, pas simple de porter Ballard à l'écran.


High-Rise ressemble à une rencontre maladroite entre Shivers de Cronemberg - on retrouve certes le cadre en commun, un immeuble devenant une entité à part entière, mais aussi les obsessions du réalisateur, avec cette unité de lieu qui devient un microcosme organique saturé de tumeurs, avec un Architecte en tant que figure divine déchue, le tout malheureusement amené avec un manque de finesse décevant -, la poésie surréaliste de l'excellent Bertrand Blier, celui de Buffet Froid - avec là encore la finesse en moins -, le tout mâtiné d'un détournement des Salo, Les 120 Jours de Sodome - sans le souffre et l'intelligence qui faisait de l'oeuvre de Pasolini un chef d'oeuvre traumatisant, là où High-Rise propose deux bouts de fesse, et pour summum de la décadence propose une MILF qui appelle à la sodomie pour rappeler au spectateur que quand même, c'est une orgie, c'est sulfureux, attention! -.


La rencontre entre les ambitions du film et ses limites, en somme.


Pourtant, on entre confiants dans High-Rise, entre une OST de bon goût (entendre la voix de Malcolm Mooney dans le premier quart d'heure, ou les rythmes de DAF augure forcément une sélection de qualité!), des images frôlant la perfection, ponctuées de quelques phrases typiquement ballardiennes (la remarque de Tom Hiddleston à propos des diagrammes de l'Architecte Jeremy Irons plante parfaitement la symbolique du lieu et la poétique de l'auteur), le tout mâtiné d'une ambiance dansant entre archaisme et post modernisme, et un ancrage clair et résolu dans des 70's qui habite tant l'image que l'imagerie du film.


La première moitié arrive même à intriguer. Malheureusement, le point de basculement entre l'ordre apparent et le chaos débridé est tout bonnement occulté.
On glisse sans raison, via un cut frénétique d'une société où la menace sourd, s'instille intelligemment dans les fissures, vers un dérèglement qui aurait pu fonctionner, eût-il été motivé, un rien explicité, suggéré.


Car le problème principal du film, c'est son incapacité manifeste à poser son ton.
Toute la tension est désamorcée de fait à cause des maladresses d'écriture du script. Là où chez Blier un malaise s'installe, une cohérence déréglée réussit à envelopper le propos, une construction oblique sous-tend le propos, ici, la plupart des événements, de l'anodin aux noeuds de l'intrigue, en passant par les scènes-choc, tombent à plat, faute de build-up, comme on dit.
On s'attend tellement à rien que rien n'arrive à surprendre, des coups de folies aux accès de violence.
On ne peut subvertir un propos que lorsqu'on en a posé les règles, ne serait-ce qu'en filigrane, implicitement, même succintement.
Wheatley loupe le coche dans les grandes largeurs à cet égard et ne réussit pas à capturer la poétique du non-dit de Ballard, il se contente d'amputer des morceaux d'intrigue laissant des vides béants que le spectateur aura la flemme de combler, faute d'enjeux réels ou présumés.


C'est dommage, le film aurait pu être bon, il aurait dû l'être.
Il l'est, même, dans une certaine mesure.
Simplement pas assez.
Reste quelques moments de grâce, une excellente BO, et quelques performances d'acteurs.
Et un immeuble qui réussit à imposer sa prestance malgré tout.

toma_uberwenig
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le 27 mai 2017

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toma Uberwenig

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