Depuis longtemps dans les circuits – tourné en 2015, dévoilé à Cannes en 2017 – How to Talk to Girls… pointe enfin le bout de son museau en juin 2018. John Cameron Mitchell, réalisateur de l’excellent Hedwig & the Angry Inch, y adapte la nouvelle éponyme du best-seller Neil Gaiman où ce que l’on devine comme un jeune-lui tombe amoureux d’un être stellaire de passage sur Terre en plein mouvement punk britannique des années 70. Ce qui rend de prime abord si attachant cette oeuvre et son adaptation ici, c’est son caractère éminemment personnel, simili-biopic éclair et excentrique où l’auteur s’est inspiré de ce moment fugace de sa jeunesse punk pour raconter une chose des plus belles et universelles : qu’à travers cette contre-culture où l’on refusait de s’enfermer dans des cases, il a foncé tête baissée dans sa passion et s’est révélé l’écrivain qu’il est aujourd’hui.


Coupler le mouvement punk à cette romance entre un jeune humain et un être stellaire, briser les barrières pour épanouir sa liberté, son égalité et sa performance artistique… Au-delà de cet aspect psychédélique subjectif, en faire une adaptation sur grand écran aujourd’hui est également et sans conteste un écho fait au monde contemporain – le tacle fait au nouveau souffle des partis extremistes et au Brexit est évident, sinon spectaculaire. Ceci dit, la métaphore est loin d’être fine, ce qui en soit est bien représentatif de l’essence de ce film : péter les barrages et crier à gorge déployée.


How to Talk to Girls… se dessine immédiatement comme une expérience plastique très singulière, si extravagante qu’elle pourra perdre certains spectateurs au cours de chemin. L’objet est littéralement fou, partageant une énergie débordante. Pour preuve, le même dynamisme sera insufflé dans cette jeune relation amoureuse que dans un concert en sous-sol qui part en cacahuètes ou dans l’initiation à une première expérience annale. En multipliant les moments bizarroïdes, cocasses et souvent jubilatoires, le face à face se dessine entre les codes de la société qui cherche à nous enfermer et cette mystérieuse communauté stellaire aux actions incompréhensibles, hors de notre portée humaine. Cet environnement double et contrasté qu’on ne comprend pas, absurde et anxiogène, le spectateur voudra s’en échapper comme les héros. Et nourrir cette love story atypique au sein de cet environnement double marche du feu de dieu.


Mais le plus plaisant en terme plastique est le parti-pris visuel de Mitchell, qui à la base voulait tourner en pellicule 16mm pour s’approcher au plus près du naturalisme brut britannique. Chose qu’il n’a pu faire faute de budget, le chef opérateur Frank G. DeMarco a ainsi utilisé plusieurs objectifs spéciaux et un effet de vignettage, offrant une texture d’image tout à fait particulière aussi douce que granuleuse. Ceci couplé à la caméra porté et divers effets de zoom, la dimension humaine donne un cachet old school grisant. Du côté de la dimension stellaire, dans leur étrange bicoque de luxe ou à d’autres moments, les scènes ont été tournées intégralement en numérique haute résolution, le grain et la caméra à l’épaule disparaissant au profit de décadrages et de courtes focales. L’ensemble offre un contraste très particulier témoignant parfaitement du caractère hybride et excentrique du métrage.


How to Talk to Girls… est un exercice bouillonnant, ce qui peut se traduire pas un bon gros bordel – ce que le film est, indéniablement. Narrativement, il part en vrille, le récit ne cherchant jamais à être cohérent et rendant le tout assez répétitif, étouffant une seconde moitié un peu débordé et essuyant un léger ennui. Ce qui ne gâche jamais vraiment l’attachement que l’on gagne pour ce jeune duo en tête d’affiche, dans toutes leurs cocasseries mais aussi les moments sensuels et touchants qu’ils offrent. Les acteurs y jouent pour beaucoup, Elle Fanning et Alex Sharp débordant de naturel et de complicité devant la caméra de Mitchell. On notera aussi la bonne surprise pour Nicole Kidman, matriarche complètement décalée et iconique, qui malheureusement est mise de côté assez brutalement dans la dernière partie.


Malgré sa dimension fourre-tout, How to Talk to Girls… est une expérience hors norme qui ramène à nos bluettes, nos amours éphémères d’adolescents, tout en invoquant l’auteur, l’artiste, qui sommeille en chacun de nous. Au-delà de cette love story décalée et touchante qui dans toutes ses bizarreries ne plaira pas à tout le monde, il y a un appel à l’émancipation et à l’anti-conformisme, un appel de chaos et d’amour réalisé avec beaucoup de cœur et d’énergie. Face à ce trip sous acide, on se surprend à scander constamment « what the fuck ?! » entre un sourire et une larme, kaléidoscope anarchique des fantasmes et des cadres menant à un bel épilogue qui touchera tout particulièrement le cœur de tous les artistes en devenir.


https://obscura89.wordpress.com/2018/07/24/how-to-talk-to-girls-at-parties-john-cameron-mitchell-2017/

MaximeMichaut
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le 24 juil. 2018

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