Henri Verneuil, 1979, avec Yves Montand dans le premier rôle, un thriller, entre le film policier classique et le film politique. Un titre qui parle tout en restant énigmatique. Deux heures de film. Une bande sonore de Ennio Morricone. En arrière-plan historique, l'assassinat du président JFK Kennedy et le rapport Warren qui était censé apporter toute la lumière sur les faits et l'enquête.


La contre-enquête du procureur Volney/Yves Montand, démonte, pas à pas, les incohérences et met en évidence les dissimulations d'un rapport d'enquête officiel. Même s'il y a une histoire réelle comme arrière-plan, I...comme Icare ne se revendique pas comme un film désireux de rétablir la vérité sur l'assassinat du 35 ème président des Etats-Unis, contrairement à JFK réalisé douze ans plus tard par Oliver Stone.


Quand la contre-enquête de Volney cerne de plus près l'individu officiellement mis en cause comme l'auteur des coups de feu meurtriers et démontre une manipulation des preuves, l'attention se focalise sur le nommé Daslow. L'enquête reconstitue sa biographie et met en lumière les singularités de son parcours.


Interrogé plus tard sur les raisons qui l'ont motivé à co-produire le film, Montand répond qu'il tenait à ce que le film se fasse pour une seule séquence car il lui importait qu'elle soit portée à la connaissance du plus grand nombre. Le personnage de Daslow avait participé quelques temps auparavant à une expérience sur le comportement des individus confrontés à une autorité. Pour les besoins du scénario, c'est pendant cette expérience qu'il aurait été repéré comme homme de main possible.


Henri Verneuil reconstitue l'expérience de Stanley Milgram. Ce dernier est un comportementaliste américain qui a mené une expérimentation sur l'obéissance et la soumission. Un cobaye bardé d'électrodes reliées à un pupitre-clavier est installé et sanglé sur un fauteuil. Le clavier permet de lui envoyer des décharges électriques en augmentant progressivement l'intensité de celles-ci. En face de lui, un technicien recruté comme manipulateur est chargé de mener la séance de travail. Il pose une question de culture générale au cobaye et en cas d'absence de réponse ou de réponse erronée, il lui envoie une décharge électrique qui augmente le cas échéant avec la question suivante. Il s'agit de voir simultanément quelle est sa capacité de résistance aux décharges et quelle est l'influence qu'une menace de décharge peut avoir sur ses capacités cognitives et son comportement.


Dans le film, le procureur Volney est invité à assister à une telle expérience derrière une glace sans tain. Celui qui pose la question puis envoie la décharge au cobaye montre des signes d'inquiétudes au fur et à mesure que son cobaye se tord de douleur. Il finit par se rebeller et refuser de poursuivre l'expérience malgré l'insistance du médecin chef de projet.


Quand Daslow était chargé d'électrocuter, il n'a pas eu d'état d'âme malgré les supplications de sa victime. Il a suspendu un instant son action pour interroger et vérifier l'approbation du médecin avant de poursuivre ce pour quoi il était rémunéré par le laboratoire.


L'intérêt de l'expérience est précisément dans le fait que le véritable cobaye est « le bourreau » et que l'électrocuté qui se tord de douleur et supplie qu'il soit mis fin à son tourment est en fait un comédien particulièrement talentueux. La démonstration est faite qu'un individu investi d'un pouvoir et bénéficiant de la couverture d'une autorité reconnue et acceptée comme telle (ici un médecin en blouse blanche) fait ce qui lui est ordonné et cela sans autre préoccupation que de vérifier que son action est bien légitimée par une autorité supérieure à tout moment.


L'expérience de Stanley Milgram avait été menée en 1961 au moment où Adolf Eichmann comparaissait en justice à Jérusalem et quand la question de comprendre ce qui faisait que des hommes pouvaient agir ainsi était de nouveau à la une de tous les journaux. Eichmann ne faisait qu'exécuter les ordres et faire son devoir en organisant la déportation des juifs comme le personnage fictif Daslow avait tiré pour tuer le président des Etats-Unis. L'ordre d'une instance dépositaire, pour lui, de légitimité, lui avait été donné de le faire. Il n'avait été que nécessaire de construire cette légitimité à ses yeux ; son profil psychologique rendait le reste possible.


Comme spectateur, au cinéma puis à la télévision, c'est de cette séquence, un peu intruse dans le film, dont je me suis souvenu des années durant, bien plus que des péripéties de l'enquête de Volney. Ce qui donne a posteriori raison à Montand sur l'intérêt véritable du film.


I...comme Icare pouvait dès lors commencer son parcours de film salué et récompensé par cinq Césars en 1980 et nous faire passer un moment distrayant mais également édifiant devant les écrans. Ceux qui souhaitent en savoir plus sur l'expérience menée par Milgram peuvent lire Expérience sur l'obéissance et la désobéissance à l'autorité. Editions La Découverte/poche.

Freddy-Klein
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le 15 avr. 2020

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Freddy Klein

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