Cette histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre



  • Monsieur Frédéric Heiniger, vous êtes Président de la Haute Cour et le président de cette commission d'enquête. C'est donc à ce titre, que je vais vous demander de commencer le débat, ce soir.

  • Je voudrais poser au procureur Volney, une question toute simple. Pendant un an, vous avez siégé parmi nous. Vous avez assisté à toutes les phases de cette minutieuse et exhaustive enquête. Et pas une fois, vous n'avez exprimé votre réprobation, ou un quelconque désaccord. Alors, pourquoi aujourd'hui ?

  • Monsieur le Président de la Haute Cour, cette longue année que vous venez d'évoquer : c'était précisément l'enquête. Je n'avais aucune raison d'être contre. Aujourd'hui je suis tout simplement en désaccord avec les conclusions de cette enquête. Je voudrais à mon tour poser une question au Président Heiniger, une question toute simple.

  • Je vous en prie.

  • Bien. Est-il vrai, que vous ayez reçu dès le début de notre enquête, une demande provenant de la plus haute instance de ce pays, et que je vous résume. « Débrouillez-vous comme vous voulez pour établir que Daslow est le seul tueur. Qu'il n'y a jamais eu de conspiration. Ni de complot. Je n'ai pas envie d'avoir une Troisième Guerre mondiale sur les bras. » Avez-vous oui ou non, reçu cet ordre ?




Soumission à l'autorité



« Cette histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. », c'est sur la citation de Boris Vian pour "L'Ecume des Jours", que s'ouvre le film d'Henri Verneuil. Une citation mise en exergue par le cinéaste afin de nous interroger sur le sens du mot « vrai ». Qu'est-ce que la vérité ?
- Une simple adéquation entre la réalité et un individu qui la pense ?
- Un assentiment juger réel car généralisé par un effet de groupe qu'il soit religieux, idéologique, politique... ?
- Une conformité de faits tels qu'ils se sont déroulés et pas autrement ?
- Un simple effet que l'on peut relativiser par la formule toute trouvée : à chacun sa vérité ?
Que des exemples qui posent problème car ils impliquent que la vérité peut être considérée comme subjective. Dans le premier exemple, le fameux "je pense", limite la vérité à une simple pensée abstraite qui va se limiter à la réflexion du penseur. Dans le deuxième cas, un effet de groupe va influencer une vérité (de manière intentionnelle ou non) en voulant la transporter dans le courant dogmatique qu'il incarne. Exemple, chaque religion prône une vérité ultime autour d'"une" Divinité ultime. Dans le cas des faits, ceux-ci s'appuient sur une technologie "humaine", et qui dit humaine dit faillible. Plus d'une fois, on a dû revenir sur une vérité établie grâce à des nouveaux procédés ou des nouvelles preuves. Des faits jugés "vrais" remplacé par une nouvelle vérité, jusqu'à une prochaine. Le dernier exemple essentialise la vérité pour en faire quelque chose d' hasardeux que chacun peut disposer comme il le désire. En somme, c'est une bonne synthèse de tous les exemples explorés. Le sens du mot vrai véhicule un sens du réel qui selon la personne varie sur le résultat. Chaque individu possède son propre rapport à la réalité, sa propre vision du monde réel. Toute vérité n'est que la vérité de celui qui l'a dite. Le mentir-vrai. Mais, une vérité qui n'est vrai que pour moi, est-elle encore une vérité ?


Un courant de pensée qui va tout du long orienter la plume incisive d'Henri Verneuil et de Didier Decoin pour offrir à « I… comme Icare », un sujet ambitieux doté d'une réflexion glaçante, librement inspirée de l'assassinat de JFK. Un thriller suspendu haletant d'une maturité étonnante, qui de bout en bout tient le spectateur dans une attente angoissée autour de la découverte d'une réalité entremêlée dans une toile insidieuse, dont chaque noeud démêlé emmène la vérité vers une autre vérité. Une intrigue politique qui s'opère dans un pays fictif qui fête la réélection de son Président, Marc Jarry (Gabriel Cattand), qui va publiquement se faire abattre par un sniper. Une commission d'enquête dirigée par le président de la Haute Cour de justice, conclut qu'il n'y a eu qu'un seul tireur, Karl-Éric Daslow (Didier Sauvegrain), et qu'il a agi seul, par folie, avant de se donner la mort d'une balle dans la tête. Une conclusion qui ne convient pas au procureur Henri Volney (Yves Montand), qui de ce fait reçoit les pleins pouvoirs afin de reconduire l'enquête. S'ensuit un périple énigmatique avec plusieurs niveaux d'orientation où tout est faux-semblant. Un travail psychologique redoutable autour d'une intrigue à déduction qui met en exergue le suspense via des retournements de situation ingénieux. On découvre au fil des minutes un projet d'une immense ampleur qui vient bouleverser chaque élément de l'enquête. Des enjeux entretenus par une tension à suspense qui jamais ne redescend jusqu'au final implacable. On est totalement absorbé par cette machination infernale que va tenter d'enrayer Volney.


Une intrigue menée de main de maître par un gargantuesque Yves Montand. Sous les traits du juge Volney, le comédien fait preuve d'un charisme redoutable avec une caméra qui peu de fois délaisse le visage du comédien, qui assure tout du long une prise saisissante avec le spectateur. Yves Montand est le seul maître à bord, le reste de la distribution étant avant tout distribué à travers des personnages minces. Volney va coûte que coûte tenter de s'approcher de la vérité, seulement, comme pour le mythe d'Icare, à trop s'approcher du soleil, attention à ne pas se brûler les ailes. Une paranoïa de la vérité savamment mise en forme par Verneuil qui va offrir une technicité irréprochable à son scénario. Une réalisation appuyée par la photographie énigmatique de Jean-Louis Picavet, sur des décors urbains finement sélectionnés par Jacques Saulnier, pour un montage d'Henri Lanoë, qui va offrir un découpage nerveux idéal pour un spectacle qui pourtant se détache de toutes actions spectaculaires. Une élaboration intimiste adéquate, pimentée par l'excellente musique d'Ennio Morriconne, qui une fois encore frappe fort à travers une partition qui colle parfaitement au cadre oppressif énigmatique exploré autour de la recherche de la vérité. Une reconstitution consciencieuse de la forme par le biais de longues séquences servies sur des dialogues intelligents réussissant à suffisamment sublimer le fond pour permettre au cinéaste d'explorer à fond son propos. En témoigne la fameuse séquence autour de l'expérience sur la soumission à l'autorité. Une expérience psychologique vraie publiée en 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram. Une expérience évaluant le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime. Un cheminement permettant d'analyser le processus de soumission devant une autorité induisant des actions posant des problèmes de conscience au sujet. Les résultats sont frissonnants, à l'image de ceux du film. Un grand moment !



CONCLUSION :



I...comme Icare est un thriller politique rare, écrit, produit et réalisé par un Henri Verneuil au sommet de son art. Une merveille de suspense savamment exploré à travers une enquête haletante qui a aucun moment ne prend le spectateur pour un idiot. Un périple insidieux qui jamais n'opte pour la facilité et vient se résoudre dans la difficulté d'une conclusion, qui pousse le spectateur à une réflexion faisant écho avec la fameuse citation d'introduction : « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. »


Une pièce majeure du genre d'une rare intelligence portée par un Yves Montand mémorable.




  • En moyenne, 63 % des sujets sont obéissants. C'est-à-dire qu'ils acceptent totalement le principe de l'expérience. Et vont jusqu'à 450 volts.

  • Ce qui signifie que dans un pays civilisé, démocratique et libérale, les deux tiers de la population sont capables d'exécuter n'importe quel ordre émanant d'une autorité supérieure.


B_Jérémy
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste « Cocorico ! » : classement du meilleur au pire des films appartenant au cinéma français

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le 13 févr. 2023

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I... comme Icare
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Un nom de code proche de la légende d'Icare

Un état imaginaire, l'assassinat d'un président, un procureur opiniâtre qui découvre une machination et qui s'approche trop près de la vérité... comme le disait Henri Verneuil, le titre du film a été...

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