Voilà donc le monument de Sergio Leone. On en parle beaucoup comme d’un monument à part dans la carrière du cinéaste. J’ai vu beaucoup de Leone. Et celui-là, je le prends comme un coup de poing en pleine figure, c'est une vraie proposition artistique, celle de l’Amérique de la Prohibition, vu par le quartier juif, vu par Leone. Petits voyous, futurs gangsters. La dureté d’une enfance qui prépare à toutes les épreuves de la vie. Et ça avance lentement.


Deux flash-back plus tard, les personnages ont vieillis. Noodles, (De Niro), revient dans le quartier qui a fait de lui ce qu’il est. Quartier qu’il a fuit 30 ans plus tôt, dans des conditions rocambolesques. Le voilà vieil homme seul, qui marche dans le cimetière des éléphants. Il essaie de recoller les morceaux, sa mémoire commence à flancher. J’ai crût un moment m’être trompé de film. Trop lent. Formellement peu séduisant. Cadré trop serré...


Mais on comprend vite que cette dilatation du récit, et cet étirement de la "matière" temporelle est pensée. Tout ça est voulut. Tellement bien pensée que les presques 4 heures du film glissent tout naturellement. On comprend qu'on a un chant, une marche funèbre. Leone et Morricone. La musique de Morricone est sombre et triste. Les couleurs sont sourdes, la pâte épaisse. L'espace est figé comme dans un glacis.
Noodles est venu chercher une réponse. Et il cherche. Il s’est fait avoir, il y a 30 ans. Par qui ?


  Une proposition artistique, ce n'est pas toujours donné. Je ne suis pas rentré dans le film, je m'ennuiyais,
jusqu’au moment ou on commence à dépeindre la jeunesse de ses gamins de rue, petits voyous chapardeurs. Noodles était déjà amoureux de Déborah. La vie dure. Le quartier, les commerces. La misère. Les trafics en tout genre. Jamais je n’ai vu l’époque de la prohibition dépeinte de cette façon. Sans héroïsme. Avec un mélange de hiératisme, de force et de brutalité. Un quartier grouillant de commerces, mais sans chaleur. Le flic Bugsy, figure de l’autorité, qui est là pour, frapper et punir. Les syndicats, protégés par les gangsters. La violence, l'argent, le sexe. Chacun paye son dû. Même et surtout les enfants. Tout est gris. Leone brasse et embrasse, entre fresque réaliste, et psycho-thriller dramatique. La vie de Noodles, c’est un drame. Adulte, il deviendra gangster. Avec son pote Max, (James Wood), il fera la pluie et le beau temps, jusqu’à ce fameux jour où tout à basculé. Les anciens gamins sont depuis longtemps devenus des hommes.


 Ils se dressent à quatre, tels les 4 chevaux de l’Apocalypse, et éliminent tout ce qui se mettra en travers de leur course à la réussite, celle que propose le Nouveau monde. S’enrichir. Profiter de la vie. Et soudain, c’est la fin de la Prohibition. Et tout se gâte. Point de beauté ici. Un réalisme crû qui écrase tout. Le quartier est tellement présent, qu’on pense voyager dans le temps, et participer. Le cadre est large, mais si serré qu’on pense marcher avec eux dans la rue, à travers la grisaille, la brume et les vapeurs d’alcool.
Ils deviennent de grandes figures mythiques. Hiératisme, en effet.
 
  La narration est largement fragmentée, ce qui rend ce film si original, mais devrait le rendre illisible. Mais non, c’est clair. Bizarre, complexe, mais clair. Le montage parfait dans la maîtrise des articulations le montre brillant. Il nous mène vers la surprenante dernière partie, vers la résolution. Les éléments se mettent en place, et la vérité s’impose. Ils ont tous échoués. Sauf Déborah, (qui ne vieillit pas), éternellement jeune, derrière son maquillage, (elle est devenue une star de cinéma). C’est la seule qui a réalisée son rêve, envers et contre tout. (No spoiler). Sans pitié, ce Leone. Il joue contre la flamboyance, l’héroïsme, l'Honneur, la saga familiale version Coppola. Point de Parrain ici. Il choisit la bande, la ruse, et loi de la rue. Il joue contre le suspense Hitchcockien. Ici on ne cherche pas comment et qui, mais pourquoi ? C’est d’ailleurs la première question que Fat, le frère de Déborah pose à Noodles :


« Pourquoi tu es revenu ? » Réponse :


« Par curiosité. »


    Parfois, voire souvent, il vaudrait mieux ne jamais revenir sur le passé, et réveiller les morts. Le suspense différé en trois moments, trois parties, trois actes fait éclater ce même passé, et on comprend pourquoi.
Contrairement aux apparences, Noodles c’est quelqu’un de simple. C’est De Niro l’acteur, on penserait donc que c’est un héros, mais non! Il l’était déjà quand il citait le cantique des cantiques pour séduire Déborah. Simple. Il récitait, mais comprenait-il ce qu’il disait ? Pas sûr. Il était déjà mort, à cette époque, mais ne le savait pas.


Et le spectateur sera son seul témoin, quand il ira de surprises en révélations. On voudrait le juger, mais on ne peut même pas. Il est vieux, et il a déjà payé sa dette, mais il ne le sait même pas (No spoiler). Ce film, c’est un régal de cercle narratif. Une leçon de vie. Et tout sera balayé par le temps, les circonstances, le dénouement…


    On comprend tout. Le visage du "héros" se congèle sur place en un sourire béat. Un sourire qui nous révèle l’âme du personnage. Il a tout perdu. Il s’est perdu en route. Et nous, on l’a accompagné jusque là, en espérant mieux, (après tout c’est lui le héros). On n'aura qu'un gros plan, sur un grand écran. Un sourire qui nous dit qu’il n’a jamais rien eut. Qu’il n’a jamais été un héros. Qu’il est arrivé au bout de son parcours. La réponse qu’il cherchait en revenant sur le lieu du drame, on l’a à l’image. Un masque de mort-vivant, ridicule et blême. Retour vers le futur, sans détours, la vérité.
 Comme le serpent se retourne, pour se mordre la queue, par une curieuse inflexion du temps, le film s’arrête donc, par un retour en plein milieu( ?) Un film sans fin, et.... On retourne à la fumerie d’opium, là où tout a commencé, et où tout s’est terminé en même temps. L’originalité monstrueuse du film tiens à ça. À l'équilibre qui ne tient à aucun hasard. Les 3 heures 49, je ne les ai presque pas vues passées, et ça m’étonne encore...


J’ai embarqué comme dans un opéra funèbre, où tout ne sera pas donné. Ce n'est pas flamboyant, certes, c'est mieux. Monumental, en effet. Beau moment de cinéma.

Angie_Eklespri
9
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le 19 nov. 2017

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Angie_Eklespri

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