Il y a des films dont je n'ai pas envie de faire la critique, pour lesquels je n'ai pas envie de souffrir alors que je sais que j'aurai du mal à m'extirper à leur sujet quelques phrases qui ne soient pas tièdes, plates, banales, anodines. Illusions perdues de Xavier Giannoli est un peu de ceux-là. Ce n'est pas un mauvais film, mais j'en attendais beaucoup plus. J'attendais de décoller, de palpiter de joie, d'excitation, de ravissement. D'être ému, touché, bouleversé, révolté, navré, et même de verser quelques larmes sur ces illusions perdues. Je suis resté impassible, désespérément maître de moi, analytique.
Quand on lit le chef d'oeuvre de Balzac, on savoure l'histoire à petites gorgées, comme une coupe de champagne, on s'en fait mentalement tout un film et puis on garde ça en tête des jours, des semaines.
J'ai vu l'adaptation de Giannoli et deux heures plus tard, je n'y pensais déjà plus. Pourquoi ? Le film n'a pas de force, pas de vraie vie. On ne croit pas aux personnages. Les acteurs jouent sans vraiment habiter leurs rôles, à de rares exceptions près. La seule qui trouve totalement grâce à mes yeux est Cécile de France en Mme de Bargeton. Lencquesaing est pas mal et Depardieu est naturellement un personnage balzacien. Les autres sont corrects (Balibar, Marcon, Stévenin) ou plutôt décevants (Benjamin Voisin, Xavier Dolan, Vincent Lacoste). Salomé Dewaels est une erreur de casting manifeste : elle respire la santé alors qu'elle est supposée jouer une phtisique. Le couple Rubempré-Coralie n'a aucun charisme, aucun charme, alors qu'il devrait être follement romantique et crever l'écran. Les costumes font l'effet de déguisements, notamment ceux de Xavier Dolan. La reconstitution de toute l'histoire n'est pas vraiment convaincante. Il y a des tas de scènes auxquelles on ne croit pas (celles qui se passent dans le journal où travaillent Lousteau et Rubempré, celles chez l'éditeur Dauriat, celle sous les arcades du Palais-Royal où grouillent les demoiselles de petite vertu) ou qui ont un côté forcé, trop chargé. Il aurait fallu un grand réalisateur pour reconstituer, faire vivre et rendre crédible cette époque oubliée qu'est la Restauration (le règne de... Charles X ?). Il aurait fallu le Visconti de Mort à Venise, de Ludwig, du Guépard. Ou le Fleming d'Autant en emporte le vent. Il aurait fallu un génie du cinéma pour adapter l'oeuvre géniale d'un géant du roman. Au lieu de ça, on a juste un bon film qui raconte une bonne histoire, avec quelques bons acteurs et d'autres mal dirigés et écrasés par leurs rôles. En plus, le film est plutôt mal photographié : les premières images de Coralie à l'écran nous la montrent franchement laide ; on se dit "Mais qu'est-ce que c'est que ce pou ?" Ensuite, on se rend compte qu'elle est plutôt mignonne, dans le genre bien en chair, mais c'est trop tard, son personnage n'a plus aucune magie. Et personne au montage ou aux rushes pour s'en rendre compte ? Il fallait retourner la scène. Le film (adapté d'un chef d'oeuvre du roman français) méritait d'être chiadé dans ses moindres détails, puisque supposé concourir au prestige du cinéma français ou le relever.
Et pour finir, comme cerise sur le gâteau, la voix off. Giannoli aurait dû se refuser cette facilité. Elle pue l'adaptation littéraire faite à la va-vite, elle donne un côté chiant à l'histoire (on n'est pas là pour entendre un roman lu à voix haute, on est au cinéma pour voir des images en mouvement).
C'est rare que je me lâche contre un film, d'autant que Illusions perdues n'est pas si mauvais et que le cinéma hexagonal à prétentions intellectuelles a bien besoin qu'on le défende, je sais. Mais j'espérais un grand film sur un grand bouquin et je ne l'ai pas eu. Ma déception a couru sur le clavier.