What am I supposed to pay attention to exactly ?
Un biopic se doit, semble-t-il, de ne jamais oublier son très académique « carton de fin », renseignant le spectateur sur les éléments biographiques n’ayant pas été montrés au cours de la projection. Dans The Imitation Game, ce procédé est surtout le révélateur frappant de l’indécision qui imprègne le film. Car quand le carton évoque l’évolution des droits des homosexuels et l’avenir réservé à la machine créée par Alan Turing, il y a de quoi rester interdit : ces deux sujets de fond que The Imitation Game étant finalement traités par-dessus la jambe.
Si la préférence sexuelle de Turing constitue un levier de poids du scénario, notamment en ce qu’elle provoquera sa chute, rien ne nous laisse penser que c’est un sujet majeur du film – à l’exception d’un ou deux passages (dont une scène d’interrogatoire tout au plus superflue). En somme, pas de quoi ranger The Imitation Game du côté des manifestes politiques, le carton lui-même s’avérant d’ailleurs tout à fait consensuel et inoffensif dans son contenu. Alors, The Imitation Game serait un thriller à suspense ? C’est en tout cas ce que semble annoncer l’avertissement de Turing au début de son récit : « Are you paying attention ? ». Avertissement qui ne tiendra pas toutes ses promesses car il ne nécessitera pas de se concentrer outre mesure pour en saisir les subtilités : la course contre la montre contre les messagers nazis semble somme toute très superficielle, tant le spectateur se voit condamné à rester en dehors du supposé cœur de l’intrigue – à savoir la progression de Turing dans le décryptage d’Enigma. En effet, jamais nous n’aurons réellement accès aux tâtonnements du mathématicien. On le verra construire sa machine de très loin, sans nous l’approprier ni en comprendre le fonctionnement (si ce n’est qu’elle est l’ancêtre des ordinateurs comme nous l’apprend, encore une fois, le carton final), et chaque fois que Turing planchera sur un nouveau problème, on se contentera de le voir s’arracher les cheveux, sans que le réalisateur fasse l’effort de tenter de nous montrer pourquoi. La mise en scène on ne peut plus académique n’aide pas à communiquer un quelconque sentiment d’urgence.
Même en tant que simple biopic The Imitation Game patauge, incapable de faire un choix. Parmi les manières d’aborder un biopic, on peut distinguer principalement l’approche qui consiste à raconter la plus grande partie de la vie du protagoniste et celle qui se contente d’une période particulière lourde de sens. Ici le film semble hésiter entre l’une et l’autre des approches. Si le gros de l’histoire constitue le récit du piratage (?) d’Enigma en pleine seconde guerre mondiale, les flashbacks très récurrents semblent s’appliquer à faire des liens incessants entre le Alan Turing ado et adulte, tandis que le film s’étend jusqu’à son emprisonnement et la fin de sa vie. Alors même qu’Enigma semblait constituer un matériau amplement suffisant pour peu qu’il eut été travaillé, The Imitation Game reste le cul entre deux chaises, dans une démarche qui ne peut que nuire au récit : le nœud « Enigma » perd en substance et en poids tandis que les éléments purement biographiques ne sont pas assez travaillés pour que l’enjeu dramatique puisse percer. Même les personnages secondaires, fades et binaires, s’avèrent être de bien pauvres faire-valoirs : Benedict Cumberbatch est ainsi condamné à cabotiner pour nous servir sa vision du désormais cliché génie-autistique-asocial.
Cet étrange non-choix, The Imitation Game le paye au prix fort, car en somme s’il se rêve politique et palpitant en pensant redonner vie à Alan Turing, il se révèle inoffensif, superficiel et tout juste informatif.