C'est une bien dangereuse chose que d'en attendre trop d'un film. C'est un sentiment qui peut se cristalliser très rapidement, et par la même occasion se fragiliser. Si bien que le temps que le film sorte, le risque d'être déçu est réellement grave.

Christopher Nolan est quelqu'un d'extrêmement talentueux. Il a pour point commun avec David Fincher de réaliser des films souvent assez cérébraux, hollywoodiens à première vue, mais en fait très stylisés, et présentant ce "plus" intellectuel qui les place au-dessus de la moyenne - à mes yeux en tout cas. En fait, je vois les deux cinéastes comme les deux hémisphères d'un même cerveau : Nolan est un mathématicien, précis et calculateur, là où Fincher est plus expressif et subversif, plus artiste peut-être.



De ce talent perfectionniste, qui avait donné le méticuleux et très personnel Memento (que j'ai adoré, là où d'autres ont trouvé l'exercice de style lourd), j'attendais énormément lorsqu'il prévoyait de s'attaquer à l'univers des Rêves. Tout ridicule que cela semble, en allant voir Inception, je m'attendais à un mindfuck complet, un scénario à tiroirs illustré de visuels jamais vus. Hélas, trois fois hélas, Inception s'est contenté de me faire goûter à ce qu'aurait pu être un tel film.

Les visuels sont certes vastes et efficaces, mais cent fois trop rationnels, contraints. Attention, je ne vais pas m'amuser à dire "ah bah c'est pas bien parce que les rêves en vrai c'est pas comme ça", c'est à peu près le commentaire le plus débile que je pourrais faire sur ce film. C'est un film, c'est de la fiction, qu'elle pose ses règles (puis s'y tienne), ça ne me pose aucun problème. Mais encore faut-il que ces règles soient au service du grandiose cinématographique.

Et il y a toujours le sens du style de Nolan, dans l'hôtel, dans Paris, dans le dojo, et autres, mais il y a aussi beaucoup de fade. Une des plus grosses déceptions du film étant la troisième couche du rêve, celle des montagnes. Elle symbolise vraiment ce qu'il y a de raté dans ce film : l'univers du rêve, ça devrait être complètement insaisissable, immense, réellement donner la sensation d'un labyrinthe pivotant sans fin. Et là, Nolan nous filme une bête mission de Call of Duty.

Ajoutant à cela GTA et un vague jeu d'action à la troisième personne, là est la déception. Mais encore, les deux premières couches ont leur rôle dans la construction concentrique du rêve : il y a les tranchées-douves (les rues), puis la forteresse (l'hôtel). Mais les GI à Courchevel, j'ai trouvé ça fade et pas stimulant, voilà tout. Nolan avait plein de bonnes idées : jouer avec la gravité et la dilatation du temps, ça c'est un aperçu de ce que ce film aurait pu être. Joseph Gordon-Levitt qui se bat avec un type le long d'un plan continu pendant lequel le couloir pivote sur lui-même de 180°, c'est vraiment nouveau, stylé et dans l'esprit du film que j'aurais voulu voir.

Mais globalement, le braquage final est beaucoup trop linéaire et vidéoludiquâtre : le scénario doit probablement ressembler à une succession de "ils progressent" et de "[tel personnage] est blessé, les autres progressent". Avec le recul, sans la musique et les effets spéciaux (et encore), on s'emmerderait ferme pendant une bonne vingtaine de minutes. Il y a un point culminant de ce point de vue-là, c'est une séquence de cinq minutes où il ne se passe *réellement* rien. Un moment un peu surréaliste où Nolan se contente d'enchaîner des plans de DiCaprio et ses potes en train de slalomer, Joseph Gordon-Levitt en train de faire la brasse coulée, la voiture en train de pratiquer la lévitation zen au-dessus du fleuve.

Autre gros défaut du scénario, la psychologie simplette qui est sensée envelopper le personnage de DiCaprio. La bât blesse d'autant plus que le même acteur a joué dans Shutter Island quelques mois plus tôt, film à la résonance psycho autrement plus fouillée.



Pas assez de surprise, d'éblouissement : j'ai dit en une dizaine de paragraphes ce que j'aurais pu résumer en un, et en plus, j'ai fait une critique complétement polarisée qui se contente ou presque de cataloguer ce que je n'ai pas aimé dans Inception. Ah, mes défauts. Bon, pour contrebalancer un minimum, j'ajouterais que si Inception avait été deux fois moins bon que ce à quoi je m'attendais, ç'aurait été un bon divertissement quand même, avec quelques bonnes idées et de l'adrénaline. C'est le cas.
Manutaust
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le 9 juin 2012

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