Toupie or not toupie : un débunkage de la scène finale.

Sept ans après, je reste effarée par le nombre de gens qui sont tombés dans le panneau de ce fifou de Nolan. Quel petit plaisantin, celui-là. La fameuse toupie en premier plan, la scène coupée de sorte que le spectateur se demande si elle va s'arrêter de tourner ou non : du pur géni, con tellement c'est simple, simple tellement c'est con. Des années après, le trublion n'a jamais répondu clairement à la question qui taraude tant de monde : "La fin, coco. Rêve ou réalité ? Allez quoi, tu peux nous le dire, y a prescription là, fais pas ta..." - Le bougre. Moi à sa place ? Même esbroufe, mêmes réponses vagues, même foutage de gueule. Parce que Nolan, lui, ce coquinou, sait. Il sait que la fin n'a pas à faire l'objet de théories dignes des complotistes les plus décablés. Il sait qu'il a été clair comme de l'eau de roche, le Nolanou. Allez viens par-là, je te la refais vite fait, et tu vas voir que c'est pas sorcier.


De quoi parle le film ?
Oui parce qu'il faut commencer par-là. Si le film s'intéresse au premier plan à la science des rêves, certes, il s'intéresse aussi et surtout en second plan aux sentiments et à la façon dont ils nous influencent (notamment dans nos rêves, donc). Un habile mélange qui donne à la science l'habit d'une intrigue, une consistence, un relief. Ces deux pans du film sont entremêlés et il est nécessaire de bien les distinguer l'un de l'autre : le rapport au rêve et le rapport aux sentiments.


La fin : rêve ou réalité ?
Une bonne fois pour toutes : réalité. Il n'y a pas de théorie, pas à compter les mèches de cheveux de Cobb et à vérifier dans quel sens elles sont dans chaque scène. La toute dernière scène du film n'est pas une question, c'est une réponse qui ne concerne pas le rapport au rêve, mais le rapport aux sentiments. Contrairement à ce que beaucoup ont pu croire au point de mettre sur pattes des théories de oufadingue, Nolan n'a laissé strictement aucun doute sur le fait que toutes les scènes qui s'enchainent depuis le réveil dans l'avion jusqu'à la scène de fin relèvent de la réalité.


La clé est donnée très tôt dans le film, posée comme l'un des principes de base du fonctionnement des rêves : Cobb explique à Ariane qu'à la différence du réel, qui est un continuum d'évènements dont on peut retracer l'enchainement , le rêve démarre toujours au cours d'une action dont on ne peut pas retrouver l'origine. Et de fait, aucun des rêves dans le film n'est retraçable en remontant dans le temps. A contrario, lorsque les protagonistes se réveillent dans l'avion, on sait comment ils y sont arrivés et pourquoi. Voilà, c'était tout con. De rien.


Alors pourquoi cette scène finale avec la toupie ?
Pour vous emmerder, déjà, hein. Faut pas se leurrer, pour me bidonner un coup, je l'aurais fait aussi. Parce que c'est drôle de faire gamberger les gens. Parce que le mec, après des années de polémiques déjantées sur la fin de son film, a dû être dans ses petits souliers (et doit y être encore).


Et puis surtout parce qu'on est sur le rapport aux sentiments (pas celui au rêve !). De retour chez lui, Cobb retrouve ses enfants, sa maison. Durant tout le film, il lutte contre la culpabilité (d'avoir pratiqué l'inception sur Mal, sa femme, ce qui a conduit à son suicide, d'avoir le sentiment d'avoir manqué à sa promesse de rester avec elle) et la tristesse (le fait que sa femme et ses enfants lui manquent, qu'il ne peut plus rentrer chez lui, qu'il est accusé à tort).


Tous ces sentiments le hantent sous forme de souvenirs et de regrets, que Cobb matérialise dans ses rêves, où il lutte contre lui-même : essentiellement prisonnier de l'impression de ne pas avoir tenu sa promesse envers Mal. En d'autres termes, il est prisonnier à l'intérieur de lui-même, Mal n'étant qu'une projection de souvenirs et de sentiments négatifs dont il n'arrive pas à se détacher. Chaque fois qu'il retourne la voir, elle lui demande de rester avec elle, comme il l'avait promis. Lorsqu'il retourne dans les limbes à la fin, elle lui renouvelle sa demande et appelle ses enfants pour le convaincre de rester, mais il refuse de les regarder. La raison est simple : il a peur, en les voyant, de préférer rester avec elle dans ses rêves pour prolonger la vie qu'ils auraient dû avoir. Or ça revient à ne pas lâcher prise, à ne pas faire son deuil, à céder à sa culpabilité, à refuser de se pardonner. La scène de fin est la conséquence de son choix de laisser mourir son souvenir de Mal dans les limbes : elle n'est plus là, il l'a enfin accepté, et quand il voit ses enfants une fois de retour chez lui, il n'a plus besoin de la toupie pour le savoir.


Est-ce que l'alliance de Cobb est un totem ?
Non, non et re-non. Le fait que Dom porte son alliance dans ses rêves signifie a minima une chose : comme Mal y est présente, c'est comme ça qu'il la "garde en vie". Toujours mari et femme dans le monde onirique, ils portent tous les deux leurs alliances. En second lieu, lorsqu'on aperçoit l'alliance, ça peut éventuellement aussi signifier qu'une projection de Mal est sur le point d'intervenir dans le rêve. En d'autres termes, loin d'être un totem, l'alliance n'est que la manifestation du fait que dans son esprit, au travers de ses rêves et de ses souvenirs, Mal est toujours vivante.


Au fait, comme ça en passant : le totem n'a d'utilité que si son propriétaire sait que c'en est un. Si c'était son totem, il s'en servirait comme tel et la toupie n'aurait aucune foutue utilité. Ça tombe juste sous le sens.


Le totem toupie fonctionne-t-il vraiment pour Cobb ?
Oui, oui, et re-oui. C'est pas faute de te le montrer plusieurs fois au cours du film. C'est même un des éléments fondamentaux de sa compréhension. Pour ce faire, il est utilisé de façon visible deux fois, une dans un rêve et l'autre dans la réalité, précisément pour montrer comment il fonctionne. Ne va pas chercher midi à quatorze heures...


Là-bas au fond de la salle j'entends "Oui, mais c'était le totem de Mal".
Oui, mais Mal est morte, mon jeune ami. Non, son effet totem n'est pas "corrompu" à l'égard de Cobb. Le totem n'est pas un objet "magique" qui ne fonctionnerait qu'avec son créateur : c'est une simple astuce pour différencier rêve et réalité. Pourquoi il faut être le seul à connaitre le secret de son totem ? Pour n'être trompé ni par un intru, ni par son propre subconscient.


"Oui, mais à la fin, les enfants sont habillés pareil, bougent de la même façon que dans ses souvenirs, c'est chelou."
Non, c'est pas chelou. Simple écho visuel de ses souvenirs et de ses rêves pour rester dans le thème. Là, tu t'attardes sur un effet de style qui relève du pur détail, sans impact sur l'intrigue. Ils se retournent, il revoit enfin leurs visages, il sait alors que c'est réel, point.


Du point de vue de la réalité, justement, la scène renvoie à un souvenir, à quelque chose qui a vraiment eu lieu juste avant son départ des États-Unis ; par conséquent, la fin ne peut tout simplement pas être la suite d'un rêve. Du point de vue de ce souvenir, dont il a fait un rêve par la suite, il y a rupture du seul fait que la scène a une suite ; un souvenir n'a pas de suite, donc a fortiori un rêve qui serait basé sur ce souvenir non plus. Ré-a-li-té.


Voilà. Tu vois, y a rien de ouf, pas de montage de frappadingue, pas de théorie de dingo sur le pourquoi du comment de la fin. Y a aucun mystère, juste un montage très adroit, très propre, à la Nolan. À mon sens une de ses oeuvres les plus marquantes, de loin ma favorite. En ce qui me concerne, il a tappé juste à tous les niveaux (équilibre, cohérence, casting, BO, etc.). Double pouce.

Camiille
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le 26 août 2017

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