Bavard dans la forme, instructif mais inabouti dans le fond

Il est bien ce Lepage, son spectacle est naze (sur la forme), mais il est bien, en effet, les gens qui se posent comme étant marginaux sont toujours intéressants à écouter.
Seulement le problème c'est qu'à travers la marginalité qu'ils revendiquent, ils tombent souvent dans un traumatisme qui se transforme en règlement de compte avec le système et le souci de ce genre de règlement de compte, c'est que pour nous public, ça revient à écouter soliloquer un solipsiste aigri...
C'est marrant car jusqu'à maintenant on pourrait presque croire que je parle d'un rappeur et non d'un pas très gesticulant conférencier.
Dans la forme pas très gesticulant en effet, par contre dans le fond oui à fond, en fait disons-le, Lepage en profite pour raconter un peu ce qu'il veut, instructif dans le meilleur des cas, oiseux sinon.
Il relit un peu l'histoire, ses commentaires de la Révolution s'ils sont bien détaillés, confortent dans le fait que notre révolution était une révolution bourgeoise donc capitaliste... Que la capitalisme ait oeuvré à renverser les monarchies, ce n'est pas très nouveau... Que cette même bourgeoisie ait gagné, ce n'est pas non plus nouveau, mais c'est vrai qu'il faut saluer ceux qui nous interpellent sur cette défaite.
Et malheureusement l'ensemble de son spectacle est un peu à cette aune.
Il regarde ensuite cette tentative avortée d'éducation populaire au sortir de la 2nde GM, avortée pour des raisons purement politiques (lutte entre les gaullistes et les communistes) qui tombera finalement dans l'escarcelle du maladroit Malraux.
Lepage s'étonne de l'échec des maisons de la culture de son point de vue de trotskiste, mais pourtant à une époque où l'état voulait tout contrôler avec une vision éminemment centralisatrice (tout le monde avait ses petits penchants fascistes à l'époque) en le cachant derrière un cache-sexe d'élitisme d'arrogance française de droite, il n'y avait rien de bien étonnant.
Cet élitisme se fait à raison attaquer par Lepage et c'est d'ailleurs tout le problème d'un art contemporain complètement incompréhensible du commun des mortels.
Reprocher à la gauche de faire de l'excès de zèle en terme de modernisme est également une réinvention de l'eau chaude, on se rappelle qu'historiquement la gauche est le parti du progrès alors que la droite est le parti conservateur... Toujours est-il qu'à la fin l'éducation populaire s'est faite enterrer, chacun ayant peur d'y voir son adversaire politique la transformer en antichambre du conditionnement.


Lepage dénonce une fabrication de valeur à partir de rien dans l'art contemporain comme objectif absolu du capitalisme, c'est tout aussi naïf, il y est arrivé ailleurs bien plus facilement : le business des applications ou même le sensations associés à une marque excitent bien mieux tous les jeunes entrepreneurs et on mise bien plus sur eux que sur les jeunes artistes.
(Il y a derrière ça cette vision typiquement française de croire que la culture régente tout... Que nenni, au risque de vous paraître cynique les gars, oui le capitalisme a gagné et ses relais de croissance majeurs se trouvent dans la Silicon Valley, non à Hollywood ou au ministère de la Culture)


Son discours globalement se tient et pour qui ne possède pas de lecture politique de l'histoire à travers la lutte des classes, sa conférence sera très enrichissante, on passe parfois un peu du coq à l'âne, mais la conclusion sur les distorsions du langage est à elle seule l'enjeu des luttes mémétiques à venir (il cite pas mal de monde, citer Chomsky à ce moment aurait été pas mal).


Commentaires complémentaires
On regrettera qu'il n'ait pas été voir du côté de la Commune où il y a eu je crois des tentatives d'éducation populaire mais qui pour le coup n'avait pas grand-chose à voir avec le communisme qui n'existait encore qu'à l'était embryonnaire.


Comme souvent chez les critiques, on regrettera un manque de suggestions d'alternatives ou de dépassement, comment va-t-on dépasser ou abattre ce système qui nous pourrit? L'éducation populaire reste aussi une belle coquille vide au terme de son spectacle (il faudrait sans doute regarder la suite) pour voir en quoi ça consiste car n'importe quel détracteur pourrait craindre une tentative d'embrigadement.


Concernant le Ministère de la Culture, il me semble que sa vocation première est de mettre en contact des gens avec une culture qu'ils n'auraient jamais trouvé sinon, en effet aujourd'hui, on peut trouver à peu près ce qu'on veut, donc sa vocation revient à nous trouver ce qu'on ne veut pas ! ! ! Bigre, qu'il reste dans le seul pré carré de ce mauvais art contemporain incompréhensible par nous autres crétins de prolétaires (la disparition de ce mot est en effet à lui seul le témoignage de la victoire du capitalisme concernant le combat lexical, mais je m'égare) est bien triste et c'est vrai que sans aller jusqu'à demander aux pauvres du bouffer du caviar et aux riches d'aller au PMU boire des bières pour regarder le PSG, il y a un monde et sans doute une marge de manoeuvre pour ce ministère...
Concernant l'éducation populaire, en bon anarchiste, je dirais que ce genre de projet est voué à l'échec dès lors qu'il sera entre les mains de n'importe quel grande structure (étatique, capitaliste...) car chez nous, on considère que le premier adversaire de ces structures, c'est le peuple, donc vous pensez bien mon bon monsieur, allez les éduquer... Bref Autogestion, autonomie, au peuple de prendre en mains les moyens de nourrir son cerveau, de le pirater, cela permettra-t-il de surmonter la lutte des classes ? Très franchement, j'en sais foutre rien.


Mais le pire c'est que autant cette critique que ce spectacle seront obsolètes dans le sens où tant qu'il y aura de la diversion (Star Wars, le TV réalité, le football...), ces discussions n'ont même pas lieu d'être... Et cette diversion ne s'arrêtera jamais... A moins de la fuir... AUTONOMIE ! La Société du Spectacle de Debord est une lecture sans doute plus instructive que ce spectacle .

CorsairePR
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le 18 mars 2016

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