Quand j'étais gosse, je regardais Indiana Jones, beaucoup. J’avais découvert la trilogie un dimanche d’été 1994, j'avais 7 ans. Paradoxalement, c’est avec le dernier épisode en date (de l’époque) - La Dernière Croisade - que ma fascination avait commencée. Très vite, j’allais découvrir l’arche perdue et le Temple Maudit, tout ça au cours de la même année.


Avec le recul, je crois que ma fascination pour ces films a été renforcée par un facteur incongru de l’époque. Au début des années 90, je profitais des films enregistrés par mon père a la télévision. Mon père avait la fâcheuse tendance de terminer ses enregistrements trop tôt. Résultat, pendant plusieurs années Indy n’a jamais atteint le Graal, n’a jamais été témoin de l’extermination des nazis par l’arche d’alliance et surtout, n’est jamais sorti du Temple Maudit. Je crois que la terrible frustration engendrée par ce coitus interruptus filmique a décuplé ma fascination absolue des films et du personnage, obligé et contraint que j’étais d’imaginer dans ma jeune tête la fin de ses extraordinaires aventures.


Quoi qu’il en soit, après le visionnage des trois films, l’évidence fut: je préférais le Temple Maudit. Pendant plusieurs années, j’ai regardé ce film (dans sa Papa's cut puis, plus tard, dans celle de Spielberg) quasiment tous les weekends. Difficile d’évaluer le nombre de visionnages, mais, je pense, être largement au-dessus des 200. Je me demande aujourd’hui où est cette pauvre VHS BASF sur laquelle j’avais inscrit en lettres rouges le titre du film agrémenté de petits superlatifs en diagonales ("super","génial")... et si elle fonctionne toujours.


J’ai continué à regarder ce film régulièrement toute ma vie. Je sais aujourd’hui que c’est le film le plus souvent le moins apprécié de la trilogie originale, le mal aimé, à la fois par ses créateurs et par le public. Mais pour moi, plus de deux décennies après, le Temple Maudit trône toujours au sommet, fier comme un Fedora sur le crâne d’Harrison Ford.


J’ai pourtant eu des déceptions au revisionnage de certains films que j’adorais étant enfant. Ça a été le cas récemment quand je me suis remis Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin. Une série B bourrée de défauts non sans charme, mais à des années-lumière de mes doux souvenirs de jeune garçon. Mais le Temple Maudit n’a jamais souffert et, je pense, ne souffrira pas de cette prise de conscience contre-nostalgique. Sa magie fonctionne toujours.


J’essaie aujourd’hui de comprendre cette fascination impeccablement perpétuée à travers les années à la lumière des diverses informations glanées sur Internet.


En 1983, Lucas et Spielberg sont au sommet du monde. Lucas est en plein dans le phénomène Star Wars et Spielberg sort de quatre énormes succès au box-office: Les Dents de la Mer, Rencontre du Troisième Type, E.T et bien sûr le premier Indiana Jones. Tout leur est permis. L’idée pour le second volet (en réalité un prequel même si cela n’a pas d’importance) est de faire quelque chose de plus sombre, ce qui avait très bien fonctionné pour l’Empire Contre-attaque, conçu avec cette même volonté. Lucas sort en plus d’un divorce et Spielberg vient de se séparer de sa petite amie de l’époque. lls ne sont pas dans la meilleure humeur du monde. Ils imaginent, sur la base du scénario de Gunga Din, un film d’aventures de 1939 avec Cary Grant, l’histoire d’une secte souterraine au Palais de Pankot, dirigé par un maléfique gourou aspirant au pouvoir suprême que lui conféreraient les pierres de Sankara. Il en a volé une à un petit village d’agriculteurs qui depuis crèvent la faim, privés de la protection de la pierre sacrée sur leur culture. Le gourou, Mola Ram, a de plus kidnappé tous les enfants du village pour les réduire en esclaves à creuser les sous-sols du temple à la recherche des pierres encore ensevelies.


Le film est tourné au Sri Lanka pendant l’été 1983. À leur retour aux États-Unis, et une fois le film monté, Lucas et Spielberg se demandent bien ce qu’ils ont pondu. On parle quand même d’un divertissement familial, et jugez par vous même: arrachage de coeur en gros plan, enfants frappés et fouettés, héros torturé et forcé a boire un liquide maléfique, j'en passe et des meilleurs.


Avec le recul je pense que la violence exacerbée de ce volet a expliqué grandement ma fascination enfantine. Finalement, je n’avais à l’époque pas le droit de regarder grand-chose et le Temple Maudit et ses couloirs rouge sang (http://www.theraider.net/films/todoom/gallery/dvdscreenshots/236.jpg) était à peu près la chose la plus subversive qui m’était autorisée. Je me souviens pourtant des quelques réserves de ma mère sur le film, mais au final on me laissait le regarder, parce que c'était Indiana Jones, parce qu'il y avait le tampon Hollywood - Lucas - Spielberg et que le film ne pouvait être qu’inoffensif. Mais non, le Temple Maudit n'est pas un film inoffensif. C’est un magnifique accident, d’autant plus magnifique qu’on n’en verra plus jamais de la sorte, surtout à l’époque des films de super héros Marvel hyper lisses. Imaginez la suite d’un succès majeur qui dériverait de cette manière aujourd’hui: absolument impossible. Le film entraînera d’ailleurs la création du rating PG-13 aux États-Unis.


Mais heureusement ce n’est pas la seule "qualité" du film. La direction artistique incroyable fait des sous-sols du temple un endroit absolument unique, magnifiquement horrible et véritablement dangereux, une sorte de vision authentique du mal et de l’enfer sauce indienne. D’autant plus qu’à la différence de son aîné et de son petit frère, le Temple Maudit bénéficie d’une relative unité de lieu qui contribue à la personnalité du Temple. Unité de personnages aussi, car le trio Jones - Willie - Demi-lune (Short Round) formé en tout début d’aventure a Shanghai ne se séparera peu ou proue jusqu'à la fin du film. Autant d’éléments qui donnent une richesse toute particulière et un cachet finalement très original à ce volet.


Le Temple Maudit c'est aussi Indiana Jones plus classe qu'il ne le sera jamais. Physiquement d’abord, car en 1983, Harrison Ford est le plus bel homme du monde et qu’ayant appris qu’il passerait toute la troisième partie du film torse nue, se forge la plus belle musculature de toute sa carrière. Et au-delà de l’aspect physique, c’est aussi le seul Indiana Jones (bon, soyons clairs, l’épisode 4 n’existe pas) ou notre héros a un rôle réellement actif au sein de l’intrigue. Il ne finit pas ligoté à un poteau comme dans Raiders, ni ne fait le sale boulot pour les nazis avant de repartir les mains vides du temple abritant le Graal. D’ailleurs une critique en vogue reprise dans un épisode de The Big Bang Theory (dans l’épisode 4 de l’horrible saison 7) voudrait qu’Indiana Jones n’ait pas de rôle significatif dans l’intrigue de Raiders (et c’est au moins en partie vrai). Eh bien, en tout cas, pas ce problème-la dans Le Temple Maudit ! Non, dans le Temple Maudit, Indy botte des culs à tour de bras, sauve des enfants de l’esclavage et libère un village du mal, et tout ça (presque) tout seul. Pas même le personnage féminin de Willie Scott, ne viendra compromettre le parfait phallisme paternel de Ford dans le Temple Maudit, réduit en potiche blonde, hystérique et vénale. On pourra remarquer qu’au contraire la force de caractère de Marion dans Raiders et les ruses d’Elsa dans La Dernière Croisade minimisent quelque peu la toute-puissance charismatique d’Indy, lui donnant certes du relief, mais dans la faiblesse. Le seul vrai coup de pouce extérieur dans le Temple Maudit viendra d’ailleurs de Demi-Lune, qui le libère grâce au feu du sort des Thuggees.


Les problèmes du film souvent soulevés sont le manque de profondeur scénaristique et son racisme. Sur le plan du scénario, ce volet est effectivement probablement le moins riche des trois. Mais mon Dieu ce rythme ! À l’époque où certains s'extasient sur le rythme des Taken-like produits à la chaîne qui pullulent depuis quelques années sur nos écrans en étant persuadés que c'est nouveau, une cure de rappel avec Le Temple Maudit ne serait pas de trop ! C'est simple, cet Indy-là ne s’arrête jamais une fois lancé, sans pour autant confondre rythme et rapidité ! Le film n’hésite pas à prendre son temps lorsque c’est nécessaire (le gros morceau central avec la cérémonie des Thuggees). Car ce que cet Indy-là perd peut être en scénario, il le gagne en atmosphère, et privilégie toujours le visuel aux dialogues pour raconter son histoire. Quant au racisme, le film est tellement cartoonesque dans sa description des Indiens que j’ai du mal à considérer la critique sérieusement. Les critiques se dirigent étonnamment souvent plus sur la description exagérée et fantastique des Thugees que sur le white saviorism flagrant lors de la toute fin du film où l’armée anglaise vient porter secours à Indy (lui-même white savior, mais bon faut bien faire un film !).


Le Temple Maudit revêtira pour moi toujours quelque chose de nostalgique et de spécial. Mais même en essayant de me tenir à l’écart de ce sentiment de nostalgie mélancolique, je ne lui trouve aujourd'hui encore que des qualités, tant au niveau du rythme que de l’ambiance inoubliable.


Un film injustement sous-aimé voire carrément méprisé que l'on se doit d'autant plus d’apprécier qu’il nous montre des choses que l'on ne reverra plus jamais dans une production mainstream à gros budget.


Ô Temple Maudit, Mon Magnifique Accident...

bdipascale
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le 19 juil. 2017

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bdipascale

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