Nous en arrivons enfin à l’œuvre de Tarantino, un cru intéressant, et le premier qui m’a fait peu à peu fait revoir mes positions sur ce réalisateur talentueux, mais trop conscient de ses qualités. Tarantino a du talent pour faire ses films, c’est indéniable. Mais sa formule « hommage » a tellement bien marché ces dernières années qu’on en vient à douter de la capacité du cinéaste à innover, à faire autre chose que du dépoussiérage de classique. Ainsi, la comparaison entre Inglourious basterds et les Douze salopards est évidente, les trames se ressemblant beaucoup. Ainsi, nous avons ici le sergent Aldo Raine qui part avec un commando de Juifs américains dont les seuls objectifs de mission sont de tuer un maximum de nazis. C’est sommaire, mais suffisamment large pour promettre un peu d’action. Cependant, en termes d’humour, le film est ici plus sobre (avec un petit cabotinage d'Hitler au grand maximum), sans compenser ce vide par autre chose que des dialogues qui s’étirent (mention spéciale à la scène de l’auberge, qui compte parmi les plus longues du film). Et en termes d’action, on ne peut pas dire que tout soit palpitant. Malgré quelques moments bien sentis, Tarantino laisse parfois la caméra tourner avec des dialogues pour faire passer la pilule. Seule la dernière scène nous offre un peu de pyrotechnie et de gunfight (celle du milieu étant une petite escroquerie, qui tente de faire de l’humour en supprimant en 30 secondes la moitié du casting, ce qui relève du gâchis vu que ces personnages comptaient parmi les plus attachants du groupe de par leur classe). Et pour l’acte final, la forteresse des Douze salopards se trouve ici changée en cinéma, une tentative de modernisation « populaire » du script sensée marquer un peu plus de connivence avec le public.


Mais si Inglourious Basterds est parfois pompeux et pas tellement original, il possède des arguments qui plaident en sa faveur. Le casting brasse d’excellents acteurs, certains parvenant très bien à donner vie à leur personnage (Til Schweiger en Hugo Stiglitz est un des meilleurs, Michael Fassbender est excellent, Christoph Waltz domine clairement le film, volant pratiquement la vedette à Brad Pitt, pour le coup en dessous des rôles de folie qu’il a parfois joué…). La reconstitution d’époque est une merveille, la musique est toujours aussi soignée, et surtout, le film gagne en puissance au cours de quelques scènes bien senties qui font littéralement décoller l’ensemble à plusieurs reprises. L’introduction en est le plus brillant exemple, parvenant en une vingtaine de minutes à planter le colonel Hans Landa en un SS intelligent et manipulateur particulièrement dangereux pour le reste du film. Une scène d’une belle intensité (qui ne montre pas de cadavres) et qui augure tout simplement du meilleur pour la suite (où ça se gâte un peu). La seconde est pour moi l’interrogatoire du sergent Werner Rachtman (campé par un Richard Sammel en bonne forme), un personnage qui émerge largement dans les rôles nazis du film, car il fait preuve de bravoure. Par l’évocation de sa croix de fer et par sa résistance en face de l’ennemi, le personnage a des qualités morales évidentes. Mais il est nazi et donc il finit la tête explosée à la batte de base-ball par Eli Roth. Pour la première fois du film, un nazi affiche un caractère fort dans des circonstances inattendues. Seuls deux autres personnages émergent du block nazi (en excluant Hans Landa qui reste excellent du début à la fin) : un petit Goebbels et Fredrick Zoller (Hitler étant réduit à un vague excité comique à chacune de ses apparitions, gesticulant et éructant pendant chaque seconde). Goebbels apparaît ici comme un personnage un poil chétif, imbu de lui-même et soucieux plus que toute autre chose de plaire au Führer. Une orientation qui prend un peu ses distances avec la réalité (Goebbels ayant été de loin le meilleur conseiller d’Hitler et l’un des principaux responsables de son ascension au pouvoir), et qui se révèle peu intéressante au-delà du cabotinage. En revanche, on touche avec Fredrick Zoller à la propagande, un sujet qui aurait largement mérité un développement au vu de tous ces dialogues inutiles… Le soldat Zoller a commis un acte de bravoure : il s’est perché dans un clocher avec des munitions et a fait feu sur l’ennemi, liquidant 300 de ses hommes et parvenant à transformer une défaite en victoire. Le potentiel d’une telle idée est fascinant, puisqu’on se rend compte à la fois pourquoi le gouvernement nazi veut l’ériger en héros, et pourquoi, lui, parle de son acte rarement avec passion, et au détour de quelques plans avec amertume… C’est clairement un simple acte de survie (plus de notion de camps belligérants, il a fait ça simplement pour ne pas être tué) qui est détourné par la propagande pour ériger un culte d’une personnalité ayant servie la cause nazie. S’ouvrait alors une porte magnifique sur le chapitre de la propagande et tout ce qu’elle avait de pervers, d’insidieux (le meilleur exemple doit être le film « Le juif Süss » de Veit Harlan, un film magnifiquement exécuté (bons acteurs, beaux décors…) au service d’une idéologie s’achevant sur l’élimination des têtes pensantes juives et sur l’enfermement des populations juives dans les ghettos : rien d’asséné, tout est induit progressivement par le film, qui prône les bases de la Solution finale).


Mais ici, le film n’ira hélas jamais plus loin, préférant se focaliser sur la pseudo-romance avec Shoshanna, rescapée des traques d’Hans Landa. On tient ici le personnage du film que je déteste. Si le jeu de Mélanie Laurent s’avère convaincant pendant les rares situations de stress, elle a tout simplement l’air de mépriser tous les interlocuteurs qu’elle croise. Certes, son personnage est juif et elle a connu une des pires atrocités commises en temps de guerre, mais ses moues dédaigneuses et son constant regard de bas en haut m’ont rapidement agacé et fait prendre son personnage en grippe. Elle est traitée comme une résistante prête à en découdre pour détruire les nazis, mais elle sonne faux quand ils lui parlent. Elle semble être le personnage qui croit que sa souffrance lui donne raison, et si son plan est en effet un acte de résistance audacieux, je ne supporte tout simplement pas son caractère (mais ça doit avoir surtout un rapport avec l’actrice, j’aborderai prochainement des films où elle joue). En tout cas, son attitude avec Zoller m’avait agacé lors de la découverte du film, Shoshanna ne faisant jamais l’effort d’accorder du crédit aux nazis qui lui parlent (alors que Black Book en montraient certains comme de très honnêtes soldats qui avaient rejoint le régime par convention). Une belle déception, quand on voit ensuite le personnage de Zoller complètement sacrifié lors de sa sortie du film, abattu dans le dos par cette prétentieuse (en parlant comme un nazi l’instant d’avant ? une chose qu’il n’avait jamais fait jusqu’alors). Un beau gâchis pour du matériau qui aurait pu se révéler en or.


On passera rapidement sur Bradd Pitt, que ma sœur caricature très bien (Yeah mother fucker ; we’r’g’ing kill fuching nazis ! yeah mother !!). Au final, Inglourious basterds est un film intéressant, pas dénué de qualités formelles et d’acteurs, mais relativement peu original au vu des modèles énoncés et de ses moments de bravoure. En fait, c’est un peu la prétention de Tarantino et de son équipe avec ce film (les dialogues, certains personnages, la scène de maquillage de Mélanie Laurent) qui m’a fait revoir mes avis à la baisse sur ce cinéaste certes très capable, mais peu inspiré en dehors de ses références et peinant à insuffler quelque chose de nouveau (certains considèrent ça comme une qualité, mais je ne suis pas vraiment de cet avis). Un cru très surestimé à mon goût, avec quelques idées néanmoins.

Voracinéphile
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le 3 juin 2015

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