Innocence : Ghost in the Shell 2
7.2
Innocence : Ghost in the Shell 2

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (2004)

Lâcher les amarres : le Major y était parvenu, reste à savoir ce qu’il advient du monde laissé derrière elle.
En retournant, presque 10 ans après le premier opus, dans sa mégalopole cybermodifiée, Oshii en adopte les règles inquiétantes, à savoir que toute frontière est abolie : entre l’homme et la machine, entre le jour et la nuit, entre le dialogue et la fusillade, entre l’humour et le désespoir.


Le Ghost est double : c’est cette âme dupliquée dont on essaye d’expliquer la présence dans des sex-dolls devenues incontrôlable, mais c’est aussi la présence fantomatique du Major, qu’on sait aussi omniprésente qu’immatérielle. Leur point commun : une féminité déclinée, perdue et redéfinie, entre la pute et la mère protectrice.


Car c’est bien là le grand manque de cet univers on ne peut peu plus mâle, qui emprunte avec malice au film noir : des voitures 50’s dans une urbanité à la nuit continue, une enquête aux multiples ramifications permettant de rendre visite à la Pègre comme aux multinationales High Tech… Le code est maîtrisé, jusqu'à la reprise modulée de la musique par Kenji Kawai lui-même, reste à le rincer. En commençant par y insuffler ses obsessions, notamment celle d’un basset que les spectateurs d’Avalon connaissent bien, et qui questionne déjà la félicité, ou du moins la sincérité comme possible incarnation de la perfection inaccessible à l’homme.


Oshii semble en effet prendre un malin plaisir à établir un cadre, instaurer des repères avant d’attaquer la porosité de l’édifice. Il est dans cette position démiurgique d’un Major dont l’irruption sera tardive : sans cesse présent, et ne se révélant qu’aux occasions où il happe le spectateur : par l’hypnose ou le vertige.


L’hypnose, un principe fondateur dans sa mise en scène, est le fruit d’une maitrise singulière du rythme : comme dans le premier opus, la lenteur est assumée, jusque dans certaines scènes d’action, notamment le superbe hacking dans l’épicerie qui voit Batou perdre le contrôle. Plans fixes, instants suspendus, qui semblent éveiller la conscience vers une lucidité effrayante, qui crèverait momentanément la virtualité du monde.


Ces failles dans l’univers balisé du polar permettent l’émergence du vertige : introduit par une tendance assez amusante à la dissertation philosophique du protagoniste qui cite Milton et Descartes avant de se rendre dans les propriétés de Locus Solus, référence pointue à l’œuvre démentielle de Raymond Roussel, le déséquilibre va contaminer toutes les dimensions : verbales, spatiales, temporelles, notamment à la faveur d’une boucle virtuelle aussi fascinante que malaisante.


L’animation, qui jouit de progrès technologiques notable, mêle la 2D traditionnelle à des séquences plus synthétiques, en osmose avec les sujets traités par l’intrigue. Du générique reprenant clairement celui du premier opus dans une version 3D glaçante aux prises de vues sur la ville de l’extrême Nord et son superbe défilé aussi bien folklorique que décadent, le mixte des prises de vues résonne comme un adieu supplémentaire au monde que nous croyons connaitre.

Les méandres discursifs et virtuels sont autant de circonvolutions qui aboutissent à l’innocence éponyme : pirouette finale assez jubilatoire, que de constater que l’objet de la quête ultime réside dans le ghost d’un enfant, tandis que l’incarnation temporaire du Major, femme idéale et amour perdu de Batou, emprunte la vulgaire enveloppe d’un sex-toy.


Le pessimisme d’Oshii n’en a pas fini d’être fertile : chant funèbre sur les cendres d’un monde modifié, il a la gravité d’un requiem ; mais ses lignes mélodiques les plus émouvantes se parent des couleurs de la nostalgie pour une innocence que nous pouvons, peut-être, encore préserver.

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le 31 mars 2017

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Sergent_Pepper

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